Afrique orientale et australe

Une analyse régionale des territoires de vie

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Photo: Felipe Rodriguez
Auteur.e.s: Fred Nelson

L’Afrique orientale et australe comprend un ensemble de régions extrêmement diversifiées s’étendant de la Corne de l’Afrique au Cap de Bonne Espérance en Afrique du Sud. Dans cette région géographiquement, socialement et politiquement diverse, certains points communs existent. Le plus notable, d’un point de vue écologique, est la prédominance des écosystèmes arides et semi-arides, passant des déserts du sud (Namibie et Kalahari) et du nord de la région de la Corne, à un large éventail de savanes, de prairies et de forêts Miombo, relativement sèches, qui prédominent dans une grande partie de la Zambie, du Zimbabwe, du Mozambique et de la Tanzanie occidentale.

Ces écosystèmes abritent une énorme diversité biologique et culturelle. Sur le plan anthropologique, les savanes de l’Afrique orientale sont surtout connues pour être le foyer évolutif des premiers humains. Des sites majeurs en termes de découvertes d’anciens hominidés se trouvent en Éthiopie, au Kenya et en Tanzanie. Depuis des millions d’années, les humains des savanes et des prairies de la région ont vécu aux côtés du plus grand nombre d’animaux sauvages de la planète. Aujourd’hui, les paysages d’aires telles que le delta de l’Okavango, le grand écosystème du Serengeti, les vallées du Luangwa et du Zambèze, entre autres sites, sont des lieux stratégiques pour la conservation de la faune, pour les parcs nationaux et autres types d’aires protégées, ainsi que pour l’industrie du tourisme de la faune, qui représente plusieurs milliards de dollars (USD) et constitue une part importante des économies nationales de la région, du Botswana jusqu’au Kenya.

Ces paysages abritent également une très grande diversité de communautés résidentes et autochtones, notamment des éleveurs qui possèdent et gèrent des dizaines de millions de têtes de bétail et dont les moyens de subsistance dépendent de la productivité écologique des pâturages de la savane. Les chasseurs-cueilleurs autochtones, dont les plus célèbres sont les San d’Afrique australe, les Hadza du nord de la Tanzanie et les Ogiek des forêts montagneuses du Kenya, conservent des modes de vie traditionnels tributaires des ressources sauvages. Le long de la côte de l’océan Indien, des millions de personnes dépendent de la pêche et d’autres ressources côtières dans une région où les récifs coralliens et la biodiversité marine sont parmi les plus riches du monde.

Au sein d’une région aussi diverse et riche, intégrer le statut et les tendances liés à la conservation communautaire et à la gouvernance des ressources naturelles représente un grand défi. Néanmoins, certaines généralisations importantes sont possibles et peuvent aider à comprendre les dynamiques principales au sein de la région ainsi qu’à façonner les initiatives et tendances mondiales en matière de conservation communautaire.

Il est important de noter que les divers systèmes traditionnels de gouvernance des ressources naturelles de la région, issus des cultures et des moyens de subsistance autochtones, coexistent avec de nombreuses expériences formelles plus récentes en matière de conservation communautaire. Depuis les années 1980, la région de l’Afrique orientale et australe a été à l’avant-garde des approches communautaires de la conservation, influençant les idées et les pratiques mondiales qui ont évolué depuis[1]. Aujourd’hui, des pays comme la Namibie et le Kenya sont des leaders mondiaux dans l’élaboration d’outils politiques et juridiques pour les aires du patrimoine communautaire (appelées en anglais « conservancies », et traduit en français par « conservatoires communautaires »). Ces pays ont transposé à plus grande échelle leurs modèles locaux, qui englobent maintenant des territoires plus vastes que les parcs nationaux et impliquent des centaines de communautés locales. Ces modèles de conservation communautaire à grande échelle sont riches d’enseignements qui nourrissent les efforts actuels visant à accroître l’étendue et les ambitions de la conservation règlementée à échelle mondiale. Ces enseignements soulignent notamment l’importance d’une politique et d’une législation nationales favorables, d’un leadership fort de la société civile locale et nationale, et des investissements à long terme dans le renforcement des institutions locales[2].

En même temps, le contexte institutionnel et de gouvernance de la région engendre à la fois des opportunités et des défis persistants pour l’engagement communautaire dans la conservation. Le contexte historique de la gestion des ressources naturelles, dominé par le legs du colonialisme et le développement de l’État postcolonial menant à la centralisation du pouvoir politique et économique dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne, a laissé en héritage une grande centralisation de la propriété et du contrôle des terres, des forêts, de la faune et des autres ressources naturelles. La plupart des forêts et des terres communales coutumières demeurent officiellement sous le contrôle de l’État central[3]. En conséquence, l’Afrique subsaharienne dans son ensemble est en retard par rapport à l’Amérique latine et à l’Asie en ce qui concerne la reconnaissance des droits coutumiers des communautés locales et des Peuples Autochtones à l’égard des terres et des ressources naturelles. Cela engendre une insécurité foncière, affaiblit les institutions de gouvernance locale et compromet souvent les opportunités d’initiatives de conservation locales, qu’elles soient traditionnelles ou plus formelles[4]. Les luttes contemporaines au sujet des droits fonciers et de l’utilisation des ressources s’inscrivent dans un environnement politique plus large qui reste souvent caractérisé par des niveaux élevés de corruption, des institutions démocratiques fragiles ou émergentes et des pressions sociales croissantes résultant de niveaux élevés de pauvreté et de transformation sociale.

Au milieu de ces tensions et de ces legs, l’avenir de la diversité biologique et du bien-être humain de la région est étroitement lié au développement de systèmes efficaces de gestion communautaire des ressources naturelles, à la fois par l’introduction de nouvelles réformes juridiques et par le renforcement des systèmes, valeurs et institutions traditionnels.

Principales tendances régionales

Bétail, population humaine et faune

L’une des principales caractéristiques des paysages d’Afrique orientale et australe est la coexistence entre un grand nombre d’animaux d’élevage, des animaux sauvages et d’autres formes de biodiversité. En Afrique orientale en particulier, les communautés pastorales traditionnelles et les systèmes d’utilisation des terres ont depuis longtemps façonné (grâce à l’usage du feu, de la pâture et de modèles d’occupation du territoire) les écosystèmes de savane et de prairie qui abritent des populations de faune migratoire exceptionnellement importantes. Cette faune continue de se déplacer au travers de vastes zones en grande partie non clôturées et d’une mosaïque de terres publiques, communautaires et privées, dans des endroits comme le nord de la Tanzanie et la majeure partie du Kenya[5].  Puisque la production de bétail (dont la plupart des troupeaux sont la propriété de petits éleveurs) et le tourisme de la faune sont des moteurs économiques qui engendrent plusieurs milliards de dollars dans ces pays, les mesures de conservation visent de plus en plus à intégrer efficacement le pastoralisme et la préservation de la faune. Ces efforts tendent à se concentrer, d’une part, sur le renforcement des droits fonciers des communautés pastorales sur les pâturages communaux et, d’autre part, sur le soutien aux systèmes traditionnels d’utilisation des terres basés sur des réserves saisonnières d’aires de pâturage. Il s’agit également de créer de meilleures opportunités économiques, tant en regard du bétail que de la faune sauvage dans ces zones.

Par exemple, l’Association des propriétaires fonciers du Rift du Sud (South Rift Association of Land Owners) est une organisation de base kenyane de premier plan qui représente environ 16 communautés de pasteurs dans le sud du Kenya. L’organisation travaille avec ces communautés pour intégrer les systèmes coutumiers d’utilisation des terres aux opportunités modernes offertes par le tourisme, les marchés de bétail et autres activités. Elle aide les communautés à formaliser et à renforcer les réserves de pâturage traditionnelles à usages multiples, qui sont au cœur de leurs systèmes de gestion des terres, de manière à fournir un habitat saisonnier de qualité à la faune sauvage. En retour, cela permet de restaurer les populations d’espèces telles que la girafe, le zèbre et le lion dans ce paysage[6]. Les communautés Maasaï établissent des réserves de pâturage saisonnier, fondées sur le pastoralisme transhumant traditionnel, qui limitent l’accès du bétail aux réserves de pâturage pour la saison sèche. Cela permet de protéger efficacement le fourrage et l’habitat de la faune sauvage, au profit des brouteurs sauvages tels que le zèbre et le gnou, tout en améliorant la disponibilité du fourrage de saison sèche pour le bétail pendant les périodes de sécheresse.

De même, dans le nord de la Tanzanie, l’Équipe des ressources communautaires Ujamaa (Ujamaa Community Resource Team) concentre ses efforts sur la sécurisation des droits fonciers communaux des communautés de pasteurs et de chasseurs-cueilleurs, afin de protéger leurs territoires contre les menaces de fragmentation et d’empiètement des terres. Cette approche permet de préserver les habitats saisonniers et les couloirs de migration essentiels pour la faune et le bétail. Au cours de la dernière décennie, ces titres appelés Droits d’occupation coutumiers communaux (Communal Customary Rights of Occupancy) ont aidé les communautés à sécuriser plus de 940 000 hectares de terres dans tout le nord de la Tanzanie, y compris les dernières terres traditionnelles des chasseurs-cueilleurs Hadza et Akie, des cultures uniques propres aux savanes de cette région. La sécurité qu’offrent ces titres de propriété crée de nouvelles opportunités économiques pour les communautés marginalisées, comme un projet de crédit carbone réalisé en partenariat entre les Hadza et Carbon Tanzania, une entreprise sociale locale. Ce projet a été récompensé par un prix Équateur en 2019.

Aires de gestion de la faune sauvage (rouge), CCRO (marron), zones de pâturage pour le bétail (vert foncé) et parcs nationaux (vert clair) dans le nord de la Tanzanie. Carte : Northern Tanzanian Rangelands Initiative

Transposition à plus grande échelle des aires du patrimoine communautaire : Kenya et Namibie

Au cours des 20 dernières années, la Namibie et le Kenya ont suivi leurs propres chemins, en fonction de leurs circonstances uniques, et sont devenus des leaders notoires dans la région et même dans le monde en tant que porteurs de modèles de conservation communautaire à une échelle ayant un impact national considérable et croissant. Alors qu’il y a eu, dans la région, de nombreux appels et déclarations de principes appelant à transférer aux communautés locales des droits accrus sur la faune et les autres ressources naturelles, la Namibie est le seul pays de la région à avoir créé un cadre juridique clair à cet effet. Ses lois sur la faune et sur la conservation permettent la création de conservatoires communautaires où les organismes locaux ont des droits de gestion étendus et sont autorisés à conserver 100% des revenus provenant de la mise en valeur de la faune.

Depuis l’adoption, au milieu des années 1990, des réformes créant les conservatoires communautaires en Namibie, ces aires se sont étendues de manière spectaculaire. Elles couvrent aujourd’hui plus de 16 millions d’hectares et englobent environ 20% de la superficie de la Namibie. Les aires protégées par l’État, les conservatoires communautaires et les conservatoires privés représentent environ 43% de la superficie totale des terres faisant l’objet d’une forme de gestion de la conservation. Avec l’augmentation du nombre de conservatoires, les populations d’animaux sauvages s’y sont largement rétablies. Par exemple, la population d’éléphants du pays a triplé depuis le milieu des années 1990 et les lions et rhinocéros noirs se sont rétablis dans la région du nord-ouest de la Namibie.

Au Kenya, dans des écosystèmes clés comme Amboseli ou le Maasai Mara, les conservatoires communautaires ont commencé à apparaître dans les années 1990 grâce à des initiatives locales impliquant souvent des entreprises de tourisme et des groupes de propriétaires terriens ou des communautés pastorales. Suite à l’adoption de la nouvelle Constitution kenyane de 2010, le gouvernement a passé en 2013 une nouvelle loi sur la faune qui a formalisé pour la première fois une définition des conservatoires communautaires leur donnant ainsi la sanction et le soutien de l’État. Depuis, leur nombre a pris de l’ampleur. Plus de 160 conservatoires couvrent désormais une superficie d’environ 6 millions d’hectares, soit à peu près 11% de la superficie du pays. Comme en Namibie, cela a eu pour effet d’approximativement doubler la superficie des terres gérées par des mécanismes de conservation, ce qui va bien  au-delà des aires protégées par l’État. Au Kenya, les conservatoires communautaires constituent un habitat essentiel pour un large éventail d’espèces menacées, notamment le zèbre de Grévy, une espèce quasi endémique, l’antilope Hirola et des espèces plus répandues comme l’éléphant, le lion, le guépard et la girafe.

Les facteurs clés des changements et des progrès réalisés dans la transposition à plus grande échelle des modèles de conservation communautaire au Kenya et en Namibie sont les suivants[7]:

  • La création de cadres juridiques et politiques clairs et favorables à la conservation communautaire. En Namibie, ces cadres ont été créés au milieu des années 1990, après l’indépendance de l’Afrique du Sud; et au Kenya, après l’adoption de la constitution de 2010 et de ses importantes dispositions relatives à la dévolution des pouvoirs.
  • Un leadership essentiel de la part du gouvernement et de la société civile, y compris une collaboration relativement forte entre ces deux sphères, ainsi que de la part de nombreux opérateurs touristiques du secteur privé, particulièrement au Kenya. Des organisations pionnières, implantées localement, comme l’Integrated Rural Development and Nature Conservation (Développement rural et conservation de la nature intégrés) en Namibie et le Northern Rangelands Trust (Fiducie des pâturages du Nord) au Kenya, ainsi que des associations clés comme la Kenya Wildlife Conservancies Association (Association des conservatoires de la faune du Kenya) et la Namibia Association of Community Based Natural Resource Management Support Organisations (Association namibienne des organisations de soutien à la gestion communautaire des ressources naturelles), ont été essentielles aux développements qui ont eu lieu dans ces pays.
  • Un financement à grande échelle, important pour le développement des conservatoires communautaires dans les deux pays, provenant de l’USAID, d’autres bailleurs de fonds externes ainsi que d’organisations internationales de conservation. Notons que la crise actuelle provoquée par la pandémie de la COVID-19, qui a entraîné la perte de millions de dollars de recettes touristiques pour ces pays, y compris pour les aires de conservation locales, incite les gouvernements du Kenya et de la Namibie à intensifier leur soutien financier aux conservatoires. Par exemple, le Community Conservation Fund of Namibia (Fonds de conservation communautaire de la Namibie), créé avec le soutien du gouvernement, des défenseurs de l’environnement et de la société civile locale en tant que vecteur de financement à long terme pour les conservatoires communautaires, a reçu des investissements essentiels pour soutenir ces aires de conservation pendant la pandémie et accroître ainsi son potentiel en tant que vecteur de soutien à long terme. Ces développements sont potentiellement significatifs pour le financement à long terme de la conservation communautaire, né en partie d’une reconnaissance générale de l’importance des conservatoires communautaires pour la conservation et pour l’industrie du tourisme dans les deux pays.
La planification communautaire de l’utilisation des terres, basée sur des systèmes traditionnels de gestion des pâturages, est au cœur de nombreuses APAC en Afrique de l’est. Photo : Roshni Lodhia

Gestion communautaire de la forêt

Alors que de nombreuses initiatives de conservation dans la région se concentrent sur la faune des écosystèmes de savane, la gestion communautaire des forêts représente un autre domaine d’action et d’investissement, comportant à la fois des innovations importantes et des défis bien ancrés.

La Tanzanie est un leader régional en matière de gestion communautaire des forêts depuis le début des années 1990. Son système de gouvernance locale fondé sur les villages, combiné aux réformes de la législation foncière et forestière de la fin des années 1990 et du début des années 2000, a conduit à la création de plus de 2,5 millions d’hectares de Réserves forestières de terres villageoises (Village Land Forest Reserves). Ces aires ont créé de nouvelles opportunités économiques pour les communautés grâce à l’exploitation durable du bois et du charbon de bois, aux crédits carbone et à l’obtention de droits sur les ressources valorisées localement[8].  Cependant, ces dernières années, l’expansion de ces aires s’est arrêtée et le soutien du gouvernement aux approches communautaires semble avoir diminué.

Dans le Kenya voisin, le thème dominant en regard de l’implication des communautés dans la conservation des forêts a été celui des conflits relatifs aux droits des Peuples Autochtones sur leurs territoires coutumiers dans les forêts des hautes terres. Des groupes tels que les Sengwer et les Ogiek peinent à obtenir la reconnaissance de leurs droits, même après la victoire historique des Ogiek devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en 2017. Des conflits récurrents persistent et, dans certains cas, des expulsions violentes ont eu lieu[9].

En revanche, les récentes réformes de la gouvernance forestière en Zambie ont représenté une opportunité essentielle pour que les communautés locales obtiennent la reconnaissance légale des droits communaux à gérer et à bénéficier des forêts, ainsi que pour développer des modèles de conservation ancrés localement, par le biais de réglementations forestières. La Loi sur les forêts de 2015 prévoit la création de groupes de gestion communautaire des forêts (Community Forest Management Groups) et d’aires de gestion communautaire des forêts (Community Forest Management Areas, CFMA), qui peuvent obtenir des droits de gestion et de capture des revenus des forêts locales. Depuis que les règlements de soutien à la foresterie communautaire ont été adoptés en 2018, plus d’un million d’hectares ont déjà été établis en tant que CFMA. Un certain nombre d’organisations entrepreneuriales telles que BioCarbon Partners et COMACO utilisent ce cadre pour collaborer avec les communautés afin d’établir et de sécuriser de vastes aires de forêts gérées par les communautés dans des aires fauniques stratégiques, ainsi que pour générer de nouvelles sources de revenus pour les communautés locales à partir de crédits carbone et d’autres produits forestiers[10]. C’est une des opportunités les plus importantes pour renforcer les droits des communautés sur les forêts dans un pays qui possède certaines des forêts et régions boisées les plus étendues de la région, ainsi que des niveaux élevés de déforestation.

Aires marines gérées localement

Des millions de personnes vivant le long de la côte de l’océan Indien dépendent de la pêche et d’autres ressources marines pour leur subsistance. Les écosystèmes marins de cette région, des récifs coralliens aux mangroves et aux estuaires, présentent également des niveaux exceptionnels de biodiversité.

Au cours des deux dernières décennies, les efforts de conservation de l’environnement dans l’océan Indien occidental, de la même manière qu’au niveau mondial, se sont concentrés sur le renforcement des institutions de gestion locales. Dans les aires marines gérées localement (Locally Managed Marine Areas, LMMA), les zones océaniques proches du rivage et les pêcheries sont gérées par des institutions communautaires. Elles s’étendent désormais sur plusieurs pays et couvraient en 2014 environ 1 100 000 hectares dans la région de l’océan Indien occidental[11]. Au Kenya, par exemple, 25 LMMA ont été créées en 2015, gérées par des unités de gestion des plages (Beach Management Units) qui regroupent des utilisateurs de la pêche et d’autres acteurs locaux importants[12]. Ces unités sont chargées d’élaborer des plans de gestion, de surveiller et d’appliquer les règles locales pour l’administration de la LMMA en collaboration avec les autorités gouvernementales. Des preuves de l’augmentation de la biomasse et de la diversité des poissons ont été récoltées dans des aires telles que la LMMA de Kuruwitu, l’un des premiers sites de ce type au Kenya, qui a reçu un Prix Équateur en 2017.

L’essor de la création de LMMA en Afrique orientale crée des opportunités substantielles pour renforcer les institutions locales de gestion et de conservation marines, ce qui améliore potentiellement la sécurité alimentaire, la durabilité des pêcheries et la conservation des écosystèmes marins. Comme d’autres formes de conservation communautaire, les LMMA sont généralement contraintes par une combinaison d’obstacles réglementaires ou politiques ainsi que de capacités et ressources locales limitées. Les droits collectifs locaux de gestion des eaux territoriales et des ressources marines sont essentiels et doivent être clairement reconnus et appliqués. L’amélioration continue de cet environnement politique et juridique participe au renforcement des unités de gestion des plages et d’autres institutions locales, et est une priorité essentielle dans toute la région. L’adoption récente d’une nouvelle loi importante sur la pêche au Mozambique en est un bon exemple.

Photo: Honeyguide

Conclusions et recommandations

Les approches communautaires en matière de gouvernance et de gestion de la conservation et des ressources naturelles en Afrique orientale et australe font face à de nouvelles opportunités et à des défis bien ancrés. Certaines nouvelles approches communautaires formelles, telles que les conservatoires communautaires au Kenya et en Namibie, ainsi que de nouvelles réformes, telles que la nouvelle loi et les nouveaux règlements sur la foresterie communautaire en Zambie, bénéficient d’un élan significatif. La pandémie de la COVID-19 a mis en lumière le rôle essentiel des communautés locales dans le soutien à la conservation, notamment par le biais des institutions traditionnelles de gestion des ressources, à un moment où de nombreuses agences gouvernementales et initiatives externes ont dû fermer ou limitér leur activité en raison de la crise ou de la perte de revenus. La pandémie pourrait, au contraire, créer de nouvelles opportunités pour investir dans les institutions communautaires, développer des partenariats plus forts et étendre le soutien à la conservation communautaire.

Dans le contexte de l’agenda politique mondial émergent en matière de conservation, qui sera élaboré en 2021 et mis en œuvre au cours de la prochaine décennie, critique pour la biodiversité et les systèmes vivants de la Terre, il existe deux priorités stratégiques et communes à cette région diversifiée.

Premièrement, les efforts internationaux doivent prioriser la transposition à plus grande échelle des modèles et approches communautaires dans les endroits où ils connaissent déjà un essor et bénéficient d’une forte demande, grâce à une combinaison efficace de demande communautaire et de soutien gouvernemental. Cela s’applique, de différentes manières, aux conservatoires communautaires au Kenya et en Namibie, aux CFMA en Zambie et aux mécanismes juridiques tels que les certificats de Droits d’occupation coutumiers communaux, visant à garantir les droits des communautés sur les pâturages du nord de la Tanzanie. Ces modèles offrent quelques-unes des meilleures opportunités pour étendre la couverture spatiale et l’impact de la conservation, de manière à soutenir plus particulièrement les droits aux ressources, les moyens de subsistance et les opportunités économiques des communautés. Des opportunités similaires existent en Afrique orientale avec les aires marines gérées localement, qui sont également en plein essor et sont essentielles pour concilier la conservation, la sécurité alimentaire et les intérêts économiques locaux dans tout l’océan Indien occidental[13].

Deuxièmement, l’unique grand obstacle au progrès et au soutien à la capacité des communautés à sécuriser et protéger leurs territoires et leurs ressources naturelles réside dans les luttes continues pour la propriété et les droits sur les terres et les ressources locales. Alors que, au cours de la dernière décennie, la réforme des droits fonciers communautaires est devenue une priorité pour le développement et l’environnement dans le monde entier, le rythme et la portée des réformes dans cette région, comme dans toute l’Afrique subsaharienne, restent insuffisants. Les droits communaux et coutumiers sur les terres, les forêts et les ressources marines doivent être davantage reconnus, tant dans les textes de loi que dans l’application des dispositions légales qui reconnaissent ces droits. Il existe une lacune persistante dans les fondements institutionnels nécessaires pour les actions de conservation communautaire, dont l’amélioration des protections pour les ressources et les territoires locaux et la capacité à faire respecter les règles et les coutumes traditionnelles de conservation. Les réformes foncières, telles que les récentes réformes foncières et forestières en République démocratique du Congo, sont essentielles à l’agenda de la conservation, ainsi qu’une plus grande collaboration, davantage d’attention et plus d’investissement. Le renforcement des droits locaux, non seulement en matière de gestion mais aussi de gouvernance et d’exercice de la propriété sur les forêts, les terres et les autres ressources naturelles, est essentiel à tout soutien aux approches communautaires de la conservation dans la région.

Pour réaliser ces deux priorités, les efforts internationaux de conservation doivent prioriser le soutien et l’investissement dans les initiatives de base et les organisations locales qui sont souvent les principaux agents de changement dans leurs communautés et sociétés. Les pays comme la Namibie et le Kenya, qui ont été les premiers à adopter de nouvelles approches de conservation communautaire, se sont appuyé sur un leadership fort de la société civile locale, sur des réseaux de plaidoyer nationaux et sur des collaborations solides entre les ONG, les groupes de base, le gouvernement et le secteur privé. Les associations nationales telles que la Kenya Wildlife Conservancies Association favorisent l’apprentissage, l’échange et l’action collective à l’échelle nationale, ainsi que le tissage de liens avec les initiatives d’autres pays de la région. Renforcer le soutien à ces groupes et aux collaborations nécessaires pour apporter des changements est une priorité si l’on veut développer des solutions de conservation sur le terrain.


[1] Par exemple, consulter Western, David; R. Michael Wright (eds.), 1994. Natural connections: perspectives in community-based conservation. Island Press, Washington, DC.

[2] Nelson, F., Muyamwa‐Mupeta, P., Muyengwa, S., Sulle, E., & Kaelo, D., 2021. Progress or regression? Institutional evolutions of community‐based conservation in eastern and southern Africa. Conservation Science and Practice, e302.

[3] Wily, L. A., 2011. ‘The law is to blame’: The vulnerable status of common property rights in sub‐Saharan Africa. Development and change42(3), 733-757.

[4] Nelson, F. (Ed.), 2012. Community rights, conservation and contested land: the politics of natural resource governance in Africa. Routledge.

[5] Reid, R. S., 2012. Savannas of our birth: people, wildlife, and change in East Africa. Univ. of California Press.

[6] Russell, S., Tyrrell, P., & Western, D., 2018. Seasonal interactions of pastoralists and wildlife in relation to pasture in an African savanna ecosystem. Journal of Arid Environments154, 70-81.

[7] Voir: Nelson et al., 2021, pour une discussion.

[8] Voir: Blomley et al., Rapport de l’IIED, avril 2019.

[9] Voir: Mongabay, 24 Sept. 2018 et IWGIA.org.

[10] Bien que les crédits carbone et les projets REDD+ (réduction des émissions provenant de la déforestation et la dégradation des forêts) fassent l’objet d’importants débats quant à leur interaction avec les régimes fonciers et forestiers autochtones et communautaires, les expériences menées en Tanzanie et en Zambie ces dernières années suggèrent qu’il est possible (et même indispensable ) d’adopter des approches qui renforcent les droits locaux de gestion des forêts et de contrôle des terres coutumières, tout en générant de nouvelles opportunités économiques sur les marchés des crédits carbone. Voir les commentaires suivants pour des discussions détaillées de ces études de cas, dans le cadre plus large de la politique nationale et du contexte juridique de la gestion communautaire des forêts :  Davis et al., 2020. Community-based Natural Resource Management in Zambia ; et Trupin et al., 2018. Making Community Forest Enterprises Deliver for Livelihoods and Conservation in Tanzania.

[11] Rocliffe, S., Peabody, S., Samoilys, M., & Hawkins, J. P., 2014. Towards a network of locally managed marine areas (LMMAs) in the Western Indian Ocean. PloS one9(7), e103000.

[12] Kawaka, Joan A., et al., 2017. « Developing locally managed marine areas: lessons learnt from Kenya. » Ocean & Coastal Management 135: 1-10.

[13] Rocliffe et al., 2014.

A propos des auteur.e.s

Fred Nelson est le directeur général de Maliasili. Il travaille depuis 20 ans dans le domaine de la conservation en Afrique pour développer des stratégies efficaces et des solutions durables, soutenir des organisations locales innovantes et construire des partenariats variés. Il a vécu et travaillé sur le terrain avec des communautés Maasai en Tanzanie, a conçu et dirigé des recherches sur les politiques de conservation en Afrique, et a joué un rôle de premier plan dans des réseaux mondiaux et des partenariats qui recouvrent les droits fonciers, la conservation de la faune et l’écotourisme.

 

Traduction et révision : Marie-Line Sarrazin et Rachel Babin