Adawal ki Devbani

Un bosquet sacré ou Oran au Rajasthan, Inde

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Photo: Aditi Veena
Auteur.e.s: Aditi Veena, Aman Singh, Nitin Bathla

Les Orans sont des forêts sacrées situées dans les régions arides et semi-arides de l’ouest de l’Inde. Considérés comme des domaines divins, les Orans désignent un lieu où la terre, l’eau et la jungle cohabitent pacifiquement. Ce sont des biens communautaires qui se trouvent au centre de la vie rurale, une ressource foncière que tous partagent équitablement et que tous protègent selon un code appliqué par la communauté.

Contrairement à d’autres forêts du patrimoine communautaire mondial qui consistent en une seule grande étendue de forêt, les Orans sont relativement petits, avec une étendue de 10 à 400 hectares. Leur valeur exceptionnelle, au-delà de leur utilité pour les communautés elles-mêmes, réside dans leur nombre et dans le fait qu’ils constituent un réseau de forêts et de communautés agro-pastorales semi-nomades sur une superficie totale de plus de 600 000 hectares. On estime qu’il y a plus de 25 000 Orans au Rajasthan (Singh, G. 2016). L’un d’entre eux est l’Oran nommé Adawal ki Devbani dans les monts Arawali, près de la ville d’Alwar.

« L’Oran Adawal est le moteur de nos moyens de subsistance. Nous sommes tous conscients que si nous avons besoin de quelque chose, nous le prenons là-bas. Nos animaux y paissent. Nous comprenons que si nous détruisons l’Oran, nos vies seront compromises, et c’est pourquoi nous nous organisons par le biais du Samiti [conseil]. Nous considérons qu’il est de notre devoir de protéger et de conserver l’Oran ».

Deenaram Meena
Photo: Aditi Veena

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50 hectares

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Gardiens: village de Sirawas,
population : 1 000

Les Orans sont des écosystèmes écologiques qui régulent le climat. Ils abritent également une biodiversité menacée et constituent des sources d’eau essentielles dans le paysage aride du Rajasthan. Ici, les Orans protègent les sources et les aquifères et abritent des installations de stockage de l’eau vieilles de plusieurs siècles. Les recherches sur les ressources en eau des Orans suggèrent que celles-ci pourraient constituer une solution permanente à la pénurie et à la dégradation de l’eau dans la région (Krishna & Singh, 2014). Les Orans assurent un approvisionnement continu en eau après le passage de la mousson, ce qui profite grandement aux moyens de subsistance locaux en augmentant la disponibilité de l’eau pour le bétail et pour l’irrigation des cultures. Par exemple, les districts de Garuba ji Devbani et Adawal ki Devbani à Alwar irriguent environ 200 hectares de terres.

De nombreux Orans se trouvent aujourd’hui dans des forêts protégées et des réserves désignées par le gouvernement, notamment la réserve de tigres de Sariska, d’où les communautés ont été expulsées, ce qui renforce le clivage entre nature et culture (Singh & Jobanputra, 2009; Singh, 2011). En outre, nombre d’Orans sont confrontés à de multiples menaces liées à l’urbanisation, à la pression démographique et aux changements climatiques. Néanmoins, à ce jour, les Orans continuent de prospérer en raison de la vénération que leur accordent les communautés.

Aman Singh à propos des multiples usages des Orans. Video: Aditi Veena, 2021

Les Orans: des modèles de conservation

Les Orans protègent les communautés qui en dépendent et leur fournissent une bouée de sauvetage indispensable, fonctionnant comme une infrastructure vitale pour la résilience, même face aux difficultés les plus extrêmes. Cela est rendu possible par l’émergence de solidarités trans-espèces, religieuses et culturelles. Contrairement aux projets de conservation de l’environnement dirigés par l’État, tels que les sanctuaires de faune, et aux initiatives environnementales dirigées par les citoyens pour le verdissement et la restauration, les Orans offrent une alternative où les communautés conservent l’environnement pour leur subsistance socio-matérielle et dans le cadre de leurs croyances religieuses. Ces bosquets deviennent d’importants points de rassemblement pour les congrégations communautaires, les festivals et d’autres événements sociaux, dont l’exécution est liée aux rythmes agraires et à l’engagement continu des communautés envers la conservation de l’environnement.

Pendant un an, les auteurs ont parcouru l’Oran Adawal et les villages voisins, avec le soutien de la Krishi Avam Paristhitiki Vikas Sansthan (KRAPAVIS),dans le cadre de leurs recherches pour élaborer un atlas des Orans. Le tableau ci-dessous montre les résultats des visites et des interactions avec les communautés de l’Oran Adawal ki Devbani.

Pas ImportantAssez importantImportantPlus importantLe plus Important
1) Quelle est l’importance de l’Oran pour vous?000072
2) Quelle est l’importance de Devi [la divinité] pour vous?010071
3) Quelle est l’importance du Samiti [entité d’organisation du village] pour vous?015462
4) Quelle est l’importance du département des Forêts pour vous?31142025
5) Quel est le degré de conflits à propos des terres privées dans le village?151  1431
6) Quel est le degré de conflit à propos de l’Oran dans le village?  69  2  1  0  0
7) Quel est le degré de conflit à propos d’autres terres dans le village ?  0  22  48  2  0
8) Quel est l’état de l’environnement local aujourd’hui par rapport au passé?  0  46  22  3  1
9) Quel est l’état des croyances religieuses aujourd’hui par rapport au passé?9341847
Résultats d’une enquête menée par la KRAPAVIS auprès de 72 habitants et habitantes du village de Bakhtpura sur l’importance des Orans dans leur vie quotidienne et pour leurs moyens de subsistance.

Adawal ki Devbani

Adawal ki Devbani est situé dans le village de Sirawas, district d’Alwar, à environ 2 km des habitations. Il s’étend sur une superficie de 50 hectares à la topographie vallonnée. Le sol que l’on y trouve est principalement de type montagneux et limoneux. Il y a une source pérenne qui émerge de l’Oran. Plusieurs communautés, avec une population totale d’environ 1 000 personnes, vivent à proximité de l’Oran dans différents hameaux du village de Sirawas. Ces communautés interagissent avec les Orans pour leur subsistance et leur existence. Les Gujjars sont les premiers habitants du village de Sirawas, alors que les Meenas y ont été relocalisés depuis un village voisin. Il y a également une communauté de Kumhars (potiers).

Dayaram Gujjar explique, dans la vidéo suivante, que les personnes qui habitent Sirawas vénèrent l’Oran et prennent des mesures pour le conserver puisque leurs moyens de subsistance en dépendent.

Dayaram Gujjar à propos de l’utilisation durable des Orans. Vidéo: Aditi Veena, 2021

Les forêts de Dieu

Partout dans le monde, la relation que les communautés autochtones entretiennent avec leur environnement implique de prendre soin des autres espèces. En Inde, on peut considérer les forêts sacrées comme des entités dans lesquelles l’environnement biophysique et les moyens de subsistance font partie d’un réseau de relations spirituelles inter-espèces. Les bosquets sacrés sont fondés sur la croyance que toutes les créations de la nature doivent être protégées, une idée dont les références généalogiques se trouvent dans le culte de la nature remontant à la période védique (5 000 avant J.-C.).

Les Orans sont des forêts du patrimoine communautaire conservées au nom de dieux, déesses, divinités ou saints locaux. Le temple est un aspect important de la forêt. Les Orans sont appelés familièrement Dev-Banis, ce qui signifie littéralement « forêts de Dieu ».

Le sanctuaire de la divinité Choor Sidh Maharaj situé au cœur de l’Oran Adival. Photo : Aditi Veena / Aman Singh

À Adawal, Shri Hari Om Das Maharaj (l’ascète qui vit dans le complexe du temple, dans la forêt) reçoit des cadeaux et de la nourriture de la part de la communauté et joue un rôle vital dans la préservation de la forêt. Dans la vidéo ci-dessous, il explique que le temple est un vecteur de conservation et de vénération parmi les communautés.

Hari Om Das Maharaj à propos du caractère sacré de l’Oran. Vidéo: Aditi Veena, 2021

L’Oran est imprégné de mythes et de légendes qui sont transmis de génération en génération sous forme d’histoires orales, de récits et de chansons. Selon les sources orales de la communauté, Adawal remonte à plusieurs siècles, lorsqu’un saint du nom de Choor Sidh s’est assis dans la forêt pour méditer pendant plusieurs années. Les Gujjars se souviennent que leur communauté a servi et pris soin du saint. En échange, la communauté a reçu la bénédiction d’être protégée des tigres, des guépards et des serpents de la forêt. Pappi Gujjar, une aînée que nous avons rencontrée lors de notre visite au village Gujjar, a partagé avec nous une chanson folklorique. Elle a expliqué que sa communauté célèbre la forêt et ses habitants avec zèle. Ci-dessous, elle et sa belle-fille chantent une chanson folklorique célébrant la mousson et les paons de la forêt.

Adawal ki Devbani sert également de centre socioculturel pour la communauté, car il unifie les gens sur le plan religieux, culturel et social tout en offrant un forum pour les discussions, les festivals et autres événements sociaux du village. Un Mela (festival) annuel est organisé dans l’Oran au mois d’avril en même temps que le Vaishakhi Purina, qui entraîne la visite d’environ 10 000 pèlerins.

La communauté reconnaît la présence de la source pérenne qui coule dans l’Oran et prend des mesures importantes pour la conserver. La tradition connue sous le nom de Chitawal (nourrir les oiseaux) et l’alimentation des espèces aquatiques comme les poissons et les tortues, sont des exemples de soins inter-espèces. Plusieurs espèces d’arbres importantes comme le kadam (Neolamarckia cadamba), le bargad (Ficus bengalisis), le neem (Azadirachta indica), le peepal (Ficus religiousa) et le gular (Ficus glomerata) sont abondamment conservées dans l’Oran et sont porteuses d’une signification religieuse.

L’eau dans l‘Oran Adawal. À gauche : un ruisseau étroit émerge des collines. Au milieu : ce plan d’eau est la principale source d’eau pour le bétail. À droite : le niveau d’eau dans le puits est de 15 mètres. Photo : Aditi Veena / Aman Singh

Les valeurs écosystémiques et les moyens de subsistance offerts par l’Oran

Le pâturage du bétail et les produits forestiers non ligneux collectés dans l’Oran constituent une source majeure de subsistance pour la communauté. Le khajjur (Phoenis sp.), qui donne à la fois des fruits riches en glucides et des feuilles qui peuvent être utilisées pour fabriquer des balais et d’autres produits, constitue l’un des principaux produits de l’Oran. Les autres produits forestiers non ligneux importants de l’Oran comprennent le kair (Capparis decidua) et le ber (Zizyphus mauritiana). L’eau de la source de l’Oran est utilisée par la communauté pour l’irrigation grâce à un réseau de canaux et de canalisations qui a été aménagé à partir de la source. Pas moins de 50 hectares de terres agricoles sont couverts par ce réseau d’irrigation qui dépend de l’Oran. La terre du bosquet sacré est également une source importante pour le pâturage du bétail du village. La communauté dépend également de l’Oran pour les matériaux de construction locaux tels que la chaume, le bois, le sable et la pierre.

Diagramme montrant la relation saisonnière de la communauté avec l’Oran. Crédits : Aditi Veena

La communauté dépend de l’Oran pour sa subsistance pendant neuf des douze mois de l’année. La conservation de la forêt sacrée est donc essentielle au mode de vie agro-pastoral semi-nomade de la communauté. Environ cinquante pour cent des revenus des ménages proviennent de l’Oran pendant les pluies normales de la mousson. En été, les pasteurs du village migrent pour le pâturage ou le travail. Pendant environ trois mois durant l’hiver, la communauté dépend de ses terres agricoles. Pendant cette période, elle utilise également les feuilles et les herbes récoltées dans l’Oran. Durant environ six mois, pendant et après la mousson, les moyens de subsistance locaux dépendent en partie de l‘Oran. Pendant les périodes de sécheresse, l’Oran peut alimenter ces moyens de subsistance pendant deux à trois mois.

L’Oran est d’une importance capitale pour maintenir des parcelles de pâturage pour le bétail local et pour répondre aux besoins réels de la communauté. Ainsi, des Orans productifs et mieux conservés peuvent réduire la pauvreté et augmenter la sécurité des moyens de subsistance des communautés.

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« La forêt nous donne tout ».

Un proverbe courant parmi les tribus agro-pastorales Gujjar d’Alwar, Rajasthan

Une chanson sur les paons, interprétée par Pappi Gujjar, dans le jardin du temple de l’Oran. Vidéo: Aditi Veena, 2021

Gouvernance et propriété de l’Oran

Un contrôle social interne fort au sein des communautés avoisinant les Orans permet d’imposer des sanctions efficaces aux contrevenants, ce qui reflète l’importance des Orans pour les utilisateurs et utilisatrices des ressources. Les forêts sacrées ont généralement des limites bien définies et sont gouvernées par un système égalitaire. Les communautés participent non seulement à l’application des règles, mais aussi à leur définition et à leur imposition. Normalement, chaque Oran dispose d’un mécanisme de résolution des conflits ainsi que de règles simples et claires pour tous. De plus, un engagement significatif existe de la part de tous les personnes qui utilisent des ressources (par exemple, le versement de contributions annuelles pour l’entretien).

De fortes croyances religieuses renforcent également l’Oran: par exemple, le respect du Devbani est assuré par une forte foi en Dieu. Les Orans sont généralement utilisés et entretenus conformément aux règles traditionnelles définies par la communauté. Par exemple : « une bûche tombée peut être utilisée pour un bûcher funéraire, mais les arbres ne peuvent jamais être abattus »; « le plan d’eau peut être utilisé par le bétail, mais pas pour l’irrigation »; « les herbes peuvent être utilisées à des fins médicinales mais pas commerciales »; etc. L’entretien du bosquet sacré et sa gestion sont coordonnés par la communauté villageoise. Celle-ci s’oppose à la privatisation des terres de l’Oran par des particuliers. Il existe également des normes strictes pour empêcher l’abattage des arbres et le braconnage.

Les terres de l’Oran Adawal appartiennent actuellement au département des Forêts, mais le Meena Sahakari Samiti, une institution villageoise, est impliqué dans sa gestion. Un ascète, nommé Shri Hariom Das, prend soin de l’Oran.

Biodiversité et bétail

Les Orans contiennent des écosystèmes terrestres et d’eau douce uniques et fragiles qui abritent des espèces et des habitats rares, menacés et en danger, ainsi que des espèces clés, des espèces importantes sur le plan de l’évolution et des géniteurs sauvages d’espèces végétales cultivées. Les sites sont culturellement, esthétiquement et éthiquement importants dans le contexte de la gestion de la conservation.

À Adawal, le bétail est composé de 600 vaches, 700 moutons et 700 chèvres qui dépendent directement de l’Oran. Les espèces d’arbres dominantes sont le khajjur (Phoenis sp.), le dhok (Anogeissus pendula), le kikar (Vachellia nilotica), le neem (Azadirachta indica), le gular (ficus racemosa), le peepal (Ficus religiousa), le sheesham (Dalbergia sissoo), le kair (Capparis decidua) et le chapun (Grewia hirsutae Vahl). De nombreux oiseaux, dont le pahadi chidia ou moineau domestique (Passer domesticus), le paon (Pavo cristatus), la perruche à collier (Psittacula krameri), le pigeon (Columba ivia) et le rouge-gorge indien (Saxicoloides fulicatus) peuvent couramment être observés dans l’Oran. Parmi les autres animaux présents dans le bosquet sacré, notons le cochon sauvage (Sus scrofa), le léopard (Panthera pardus), l’antilope Nilgaut (Boselaphus tragocamelus), le lapin (Oryctolagus cuniculus) et la mangouste (Herpestes edwardsii).

Représentation graphique et classification des différentes couches de flore dans l’Oran Adawal. Crédit: Aditi Veena

Dans l’Oran, le khajjur (Phoenis sp.) et le dhok (Anogeissus pendula) sont les principales espèces d’arbres protégées, alors que le pahadi chidia ou moineau domestique (Passer domesticus) est la principale espèce d’oiseau protégée. Les sources d’eau de l’Oran comprennent une source pérenne et un ruisseau. Ces sources d’eau proviennent de zones de la forêt où l’on trouve des arbres gulaires (Ficus glomerata). La communauté reconnaît le lien entre les ficus et la source d’origine et pense que les ficus créent l’eau. Ce lien s’explique scientifiquement. Les racines des ficus créent de grandes cavités qui recueillent l’eau et deviennent des extensions des aquifères souterrains interconnectés. Cette eau peut s’échapper lentement du sol dans les zones de faible altitude sous forme de source.

L’Oran présente une végétation dense. Écoutez le paysage sonore ci-dessus pour entendre les sons de la nature à 11 heures un matin de printemps.

Les communautés se considèrent comme faisant partie d’un écosystème plus vaste. Les Gujjars estiment qu’ils sont chanceux d’être si proches du monde naturel.

Bawani Lal Gujjar à propos de la co-existence avec les animaux dans la forêt de Sariska. Vidéo: Aditi Veena, 2021

Plusieurs traditions ethnobotaniques et ethnovétérinaires sont associées à l’Oran. Les communautés se rendent chez le Vaid ou l’apothicaire local, qui a une connaissance approfondie des jadibootis ou herbes et plantes médicinales qui se trouvent dans la forêt. Ishwar Meena, un éleveur de 40 ans de Meena ki Dhani, est porteur des traditions ethnovétérinaires et des connaissances traditionnelles. Dans la vidéo, il nous fait visiter la forêt et nous présente plusieurs plantes de son vaste répertoire.

Ishwar Meena à propos des traditions ethnobotaniques et ethnovétérinaires. Vidéo: Aditi Veena

Les menaces internes et externes, et l’espoir des communautés pour l’avenir

Aujourd’hui, la principale menace pour l’Oran est l’expansion de l’agriculture. Cette expansion est principalement due à des politiques internes et au changement de statut des terres. À Adawal, la partie intérieure de l’Oran est relativement peu perturbée et bien entretenue par les communautés puisqu’elle leur appartient toujours. Les lisières de l’Oran souffrent parce que le département des Forêts a envisagé une nouvelle stratégie pour pouvoir déclarer une augmentation de leur zone forestière totale en y incluant les Orans et les communs. Cette stratégie a été préjudiciable autant aux zones qui ont été incluses qu’à celles qui sont demeurées exclues. En effet, le changement de statut foncier conduit les membres de la communauté à abandonner leur responsabilité envers l’Oran. La zone exclue est donc confrontée à une dégradation sévère et rapide.

Toutes les activités telles que la chasse et le pâturage sont interdites dans les forêts réservées, à moins que des ordonnances spécifiques n’en disposent autrement. Par conséquent, si ces zones sont protégées par le département des Forêts, les communautés et leurs moyens de subsistance sont exclus de ces écosystèmes. Cela conduit à un changement d’attitude envers la forêt. Banwari Lal Gujjar, de la communauté Gujjar, a expliqué que la réserve de Sariska a été une forêt gérée par la communauté pendant des siècles. Depuis qu’elle est devenue une réserve forestière, la forêt a été victime de braconnage et d’abattage illégal d’arbres. Selon lui, la communauté qui coexistait avec la forêt, qui en dépendait et qui en comprenait la signification spirituelle, est désormais exclue des devoirs et des responsabilités de prendre soin de la forêt. Les agents forestiers employés dans la forêt n’ont pas les compétences et la sagesse autochtone qui permettraient de protéger et de maintenir les terres forestières. Selon lui, le gouvernement doit trouver un moyen d’intégrer les communautés, de comprendre la valeur de la sagesse autochtone acquise au fil des siècles et de ne pas séparer les forêts des gens.

Banwari Lal Gujjar à propos de l’impact de la conservation contrôlée par l’État. Vidéo: Aditi Veena, 2021

Un autre défi émerge lorsque l’Oran est en cours d’acquisition par le département des Forêts et tombe sous la supervision du département des Revenus fonciers. Le département des Revenus est en mesure de louer les terres pour des activités de développement. Par exemple, dans le corridor Delhi-Mumbai, de grandes étendues de terres qui constituaient l’habitat de chats sauvages en voie de disparition ont été utilisées pour construire des routes et des autoroutes. L’urbanisation de ces zones écologiquement importantes et sensibles est préjudiciable à la diversité végétale et aux déplacements d’animaux d’importance locale et nationale.

Il existe également d’autres menaces, comme l’excès de bétail, notamment de chèvres, qui broutent la plupart des feuillages. Shri Ram Meena nous a raconté qu’il y a une dizaine d’années, l’Oran avait subi une forte dégradation en raison du grand nombre de chèvres. En 2011, lors de la réunion annuelle de son comité, la communauté a décidé d’instaurer une restriction sur le nombre de chèvres que chaque villageois et villageoise pouvait élever. Les chèvres ont été réduites à 20 % de leur population initiale, ce qui a considérablement aidé à restaurer l’Oran. Meena a également mentionné qu’il y a 10 ans, l’eau de la source de l’Oran Adawal permettait d’irriguer environ 50 Bighas de terre alors qu’aujourd’hui, en raison de l’empiètement et de l’augmentation de la population, seuls 20 Bighas sont irrigués. Certains développements sont entrés dans les villages avec différents impacts. Par exemple, avec l’électrification des villages, la communauté des potiers s’est mise à utiliser des tours électriques; certaines communautés ont commencé à cultiver des légumes gourmands en eau, comme les oignons, comme cultures de rente; et l’apothicaire local a été remplacé par un médecin pratiquant la médecine occidentale, ce qui a entraîné une perte de confiance de la communauté dans le pouvoir de guérison des plantes médicinales. Tous ces changements ont réduit et limité la connexion et la dépendance de la communauté envers l’Oran.

Enfin, la communauté aspire à un plan de gestion pour l’ensemble du bassin versant. Grâce au soutien d’organisations comme la KRAPAVIS et aux efforts autonomes de la communauté, celle-ci a pu construire des structures de collecte d’eau comme des anicuts (des petits barrages) et des barrages de retenue. Les communautés mènent une existence très simple où elles sont seulement capables de satisfaire leurs besoins de base en nourriture, vêtements et logement. Elles espèrent trouver un moyen de coexister avec les paysages écologiques, sociaux et économiques en mutation et créer un monde sûr pour leurs enfants.

Références

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A propos des auteur.e.s

Aditi Veena est une écologiste, une éducatrice et une artiste dont le travail se situe au croisement de l’écologie, de l’art et de l’autonomisation sociale. Elle est actuellement professeure invitée à la School of Planning and Architecture (école de planification et d’architecture) de New Delhi. En dehors de ses recherches universitaires, elle est une artiste musicale qui écrit des chansons inspirées par la nature et travaille sur des projets artistiques communautaires et socialement engagés comme Ditty.

Aman Singh est le fondateur de la « Krishi Avam Paristhitiki Vikas Sansthan » (KRAPAVIS), et Président du Comité des Adhésions du Conseil du Consortium APAC. Il a supervisé la régénération de plus de 140 Orans (aires du patrimoine communautaire) au Rajasthan (en Inde).

Nitin Bathla est un architecte et un chercheur qui poursuit actuellement des études doctorales à l’ETH Zurich. Son travail se concentre sur les intersections entre l’urbanisation et la marchandisation de la vie quotidienne, notamment sur les questions du travail, de l’écologie et des infrastructures. Il est Membre d’Honneur du Consortium APAC.

Cette étude de cas est partiellement basée sur le Oran Atlas of Aravallis of Rajasthan, édité par Aman Singh et Nitin Bathla, KRAPAVIS (à paraître prochainement).

Traduction et révision : Marie-Line Sarrazin et Rachel Babin