Hkolo Tamutaku K’rer

Le Parc de la Paix de Salween en Birmanie

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Photo: KESAN
Auteur.e.s: Paul Sein Twa, Julia Fogerite, Casper Palmano

Cet article a été rédigé avant la prise de pouvoir illégale par les militaires du Myanmar le 1er février 2021. Pour les développements récents, reportez-vous à la mise à jour en bas de page.

Après 70 ans de conflits, le Parc de la paix de Salween situé dans le Kawthoolei en Birmanie, a été créé par le Peuple Autochtone Karen du District de Mutraw pour protéger ce bastion de la biodiversité et de la culture Karen et pour lui apporter la paix. Ce parc est le fruit du travail des membres du Peuple Karen habitant les 348 villages qui se trouvent à l’intérieur du Parc. C’est la concrétisation de leurs efforts pour vivre en démocratie et s’autodéterminer, pour protéger leur communauté et leur environnement des investissements destructeurs, et pour pouvoir avoir une vision d’un avenir juste, durable et serein. 

Le Parc de la paix de Salween (Hkolo Tamutaku K’rer en langue Karen) a officiellement vu le jour en décembre 2018 suite à l’approbation de sa Charte par plus de 75% des 67 800 habitants du Parc en âge de voter. La Charte du Parc de la paix établie ses principes et ses règles de gouvernance, et veille à ce que la gestion des territoires communs Kaw s’appuie sur les lois et pratiques coutumières Karen (KESAN, 2019a).

« Nous, Peuple Autochtone Karen de Mutraw, […] protégeons l’intégrité de l’environnement du bassin fluvial Salween ; préservons notre héritage culturel unique et encourageons l’auto-détermination de notre peuple dans le but d’instaurer et de maintenir une paix durable dans nos terres; et ainsi nous créons et érigeons le Parc de la paix de Salween ».

Déclaration de la création du Parc de la paix de Salween, au village de Day Bu Noh, District de Mutraw, Kawthoolei, 19 Décembre 2018.
Photo: KESAN

Situé dans le sud-est de la Birmanie, le Parc de la paix de Salween couvre 5 485 km(548 583 hectares) de forêts, de montagnes et de terres agricoles sur le bassin fluvial du Salween. Le fleuve Salween est le plus long fleuve d’Asie sans barrage important et s’étend sur 2 800 km. Il délimite la frontière est du Parc et marque la frontière internationale entre la Thaïlande et la Birmanie. Le Parc protège certaines des forêts les plus préservées d’Asie du Sud-Est et les riches biodiversités qu’elles contiennent, parmi lesquelles on trouve de nombreuses espèces en voie de disparition (SBB Moo et al.)[1].

En plus d’être un bastion de la culture autochtone Karen et d’abriter divers types de nature, le Parc de la paix de Salween est une réponse autochtone à l’une des plus longues guerres civiles du monde. Situé à la frontière du conflit Karen qui a débuté en 1949, le paysage montagneux du Parc est un refuge pour des centaines de familles déplacées par la guerre (KESAN 2018b). Le Parc de la paix de Salween est une réponse directe aux menaces de militarisation, à l’accaparement des terres, aux entreprises commerciales destructrices et à l’effacement culturel qu’engendrent les conflits. Pour ce faire, les communautés sont placées au centre du processus décisionnel de gestion des terres et de planification économique, et les Droits de l’Homme et des Autochtones sont au cœur du document fondateur : la Charte du Salween Peace Park.

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Park de la paix de Salween, 548 500 hectares

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Le fleuve Salween est le plus long fleuve d’Asie sans barrage important (2 800 km).

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Le Peuple Autochtone Karen vivant dans le Parc de la paix, 67 800 membres.

Carte du Parc de la paix de Salween et ses différentes zones. Source : KESAN 2021

Les trois piliers

Le Parc de la paix de Salween est un projet audacieux qui vise à répondre à trois aspirations fondamentales du Peuple Autochtone Karen, intégrées dans la conception et dans la mise en œuvre du Parc sous la forme de trois piliers : (1) paix et autodétermination, (2) intégrité environnementale, et (3) survie culturelle.

La paix et l’autodétermination 

Depuis la signature d’un cessez-le-feu bilatéral en 2012 et d’un accord de cessez-le-feu national plus large en 2015, l’Union Nationale Karen (KNU)[2], la Tatmadaw[3] et le Gouvernement Birman[4] ont entamé des négociations hésitantes axées sur la création d’une Union Démocratique Fédérale[5]. Des consultations publiques visant à recueillir des avis et commentaires sur le processus de pacification devaient être mises en place, mais furent bloquées unilatéralement par le Tatmadaw. Les communautés autochtones Karen du district de Mutraw ont donc pris les choses en main pour concrétiser leur vision d’un avenir pacifique sous un système fédéral (KPSN, 2018).

Le Parc de la paix de Salween développe un système de gouvernance démocratique dirigé par la communauté, avec des lois et des politiques qui soutiennent l’Union Nationale Karen et qui abordent les causes profondes des conflits : la gouvernance démocratique, le respect de la culture Karen, et la protection des communautés contre la dépossession de leurs terres et de leurs forêts. Pour ce faire, l’Assemblée Générale est reconnue officiellement comme étant l’organe de gouvernance du Parc, et les systèmes socio-écologiques autochtones Karen sont reconnus par le Kaw.[6]

Ce système permet au Parc de se rapprocher de ses objectifs fondamentaux de paix et d’autodétermination. La reconnaissance officielle des droits territoriaux et des pratiques autochtones Karen participe à la reconstruction post-conflit et au rétablissement des modes de vie des populations, en permettant aux communautés déplacées de retourner sur leurs territoires ancestraux et de retrouver leurs réseaux familiaux. Le Parc incarne la trajectoire communautaire d’une union démocratique fédérale pacifique, et une potentielle marche à suivre pour les négociations de paix stagnantes en Birmanie (BEWG, 2017). 

Célébration de la proclamation du Parc de la paix de Salween, 11min. KESAN, 2018

L’intégrité environnementale 

Les communautés autochtones Karen du Parc de la paix de Salween suivent des traditions bio-culturelles où l’homme et la nature sont intimement interconnectés. Elles estiment que la vitalité de la nature qui les entoure impacte la prospérité de leur communauté, et le respect et la protection de la nature sont profondément intégrés dans leurs pratiques et dans leur système socio-économique (KESAN, 2017). 

Guidé par cette croyance et par ce mode de vie, le Parc a été fondé pour préserver les forêts de teck, les rivières dont l’écoulement est encore libre, les montagnes sacrées, la faune et la flore, et les terres agricoles du Peuple Karen; mais aussi pour les protéger des gigantesques barrages hydroélectriques, de l’exploitation forestière et minière, de l’agro-industrie et de toutes les activités extractives qui ont dévasté d’autres régions de Birmanie (KESAN, 2017). 

La reconnaissance officielle des territoires communs Kaw est au centre de l’objectif d’intégrité environnemental du Parc. La gestion traditionnelle du Kaw est durable : elle protège les forêts communautaires, les zones de pêche, les forêts en pente, les crêtes et les abords des rivières, et elle conserve également des couloirs fauniques entre les terres agricoles (Paul 2020). Ainsi, les esprits de la forêt, les esprits aquatiques et la vie sauvage sont respectés, et l’environnement est protégé par la régulation de la chasse d’espèces rares ou l’abattage de certains arbres. Les membres du Peuple Karen préservent aussi l’agro-biodiversité de leurs hautes terres de cultures sur brulis ku, de leurs basses terres agricoles, de leurs forêts de plantes médicinales, et de leurs forêts communautaires où ils cultivent jusqu’à 150 espèces différentes (KESAN, 2006 ; Khoe Kay, 2008). 

Selon la Charte du Parc de la paix de Salween, toutes les activités économiques doivent obtenir le consentement libre, informé et préalable (CLIP) du peuple local. Le développement économique doit correspondre à l’idée de cohabitation avec la nature présente et ne doit en aucun cas nuire aux intérêts collectifs et publics du Parc, c’est-à-dire ni à l’environnement ni au droit à l’auto-détermination du peuple.

Programme d’échange de jeunes dans les champs. Photo: KESAN

La survie culturelle

Les décennies de guerre ont fait des ravages sur la culture Karen et ses pratiques traditionnelles. On estime à 100 000 le nombre de Karen qui ont fui vers des camps de réfugiés à la frontière thaïlandaise et encore plus de Karen ont été déplacés plusieurs fois à l’intérieur du pays au cours de leurs vies (KESAN, 2018b ; KHRG, 2015). Dans le District de Mutraw, 80% des 107 000 habitants ont été déplacés à cause de l’extrême violence des conflits. 

Le Parc de la paix de Salween est aujourd’hui ce qu’il reste de plus puissant de la culture Karen et il représente le cœur de sa revitalisation. Les connaissances et les pratiques traditionnelles du Peuple Autochtone Karen telles que le tissage, l’artisanat et le forgeage sont essentielles à son mode de vie, à son identité, à sa culture et sont indispensables à la relation qu’entretient l’ethnie Karen avec la nature. L’école culturelle du Parc Tha Nue Chet La[7] dispense des formations professionnelles pour revitaliser et préserver la culture Karen, en enseignant des savoir-faire traditionnels comme le tissage textile, l’artisanat en bambou ou la forge. 

Un des groupes de travail de L’Assemblée Générale du Parc de la paix s’intéresse aux pratiques et traditions Karen. En collaboration avec le Département Éducatif et Culturel Karen, l’Assemblé Générale élabore un programme culturel qui sera enseigné dans toutes les écoles de l’Union Nationale Karen, dans le but de soutenir et de renforcer le mode de vie des communautés Karen et de protéger la vie sauvage et la nature qui les entourent, tant au sein du Parc que dans d’autres zones de Birmanie où vivent des communautés Karen. 

quote

« Je suis Karen. Je vis dans les montagnes. Je vis avec les oiseaux et parmi de vastes forêts. Je suis en paix. J’aime rire. J’aime l’amour bon et chaleureux ».

Chanson Karen, Saw Cau Chiv, musicien autochtone Karen (regarder sur YouTube)

« Teaching Cultural Resilience », vidéo sur l’école culturelle Tha Nue Chet La, 6:16 min. KESAN, 2020.

La Gouvernance du Parc de la paix de Salween 

La gouvernance du Parc de la paix de Salween est fortement décentralisée : l’Assemblée Générale joue un rôle de coordinateur et le pouvoir décisionnaire est concentré dans les territoires coutumiers Karen. Les voix des hommes et des femmes de la communauté sont entendues à toutes les étapes du processus de prise de décision. 

La conservation communautaire de ces 10 dernières années a posé les bases du Parc en mettant en place, par exemple, des forêts communautaires ou des zones de conservation de pêche. Les communautés, avec l’aide du Département Forestier Karen (KFD) et du Karen Environmental and Social Action Network (KESAN), ont documenté les frontières traditionnelles du Kaw et ont revitalisé son système de gouvernance. Le Parc se construit sur ces initiatives locales et les rassemble pour former un système de gouvernance démocratique représentatif du territoire.  

Délimitations des zones de conservation du Parc de la paix de SalweenSuperficie en Ha
Superficie totale du Parc de la paix de Salween548 583
248 Kaw1 026 233
3 Réserves fauniques45 860
8 Réserves forestières49 927
34 Forêts communautaires 14 803

L’Assemblée Générale 

L’Assemblée Générale du Parc de la paix a pris forme par la ratification de sa Charte en décembre 2018 et ses membres ont été élus en 2019. L’Assemblée Générale comprend 106 représentants élus par le peuple, a en charge la coordination générale du Parc et est responsable du développement des objectifs et des stratégies du territoire (KESAN, 2019). Elle est composée de représentants de l’Union Nationale Karen (KNU), de représentants de la société civile Karen, et de représentants de chacun des 26 villages de l’intérieur du territoire défini par la KNU (un homme et une femme par village). 

Le corps exécutif de l’Assemblée Générale (onze membres du Comité de Gouvernance) est chargé de coordonner les neuf groupes de travail responsables de la résolution des conflits et des différends, du développement des infrastructures de base (écoles, dispensaires, etc.), des relations externes, de l’éducation culturelle et de la conservation à l’échelle du territoire. Les différents groupes suivent les directives établies par la Charte du Parc, document formellement reconnu par la KNU du District de Mutraw et dont l’élaboration fut guidée par les lois coutumières et les traditions Karen. 

Structure de la gouvernance. Source : KESAN

Le Kaw

Le Kaw est le cœur du Parc de la paix de Salween. Il est à la fois un lieu physique, une unité d’administration foncière et un système social. Il comprend les traditions culturelles, politiques et sociales et les pratiques coutumières du Peuple Karen qui y sont pratiquées depuis des générations (BEWG, 2017). Les territoires ancestraux Kaw couvrent des paysages entiers : des forêts, des terres, des voies navigables, de la faune, de la flore et des hommes ; autant d’éléments interdépendants et importants qui composent un ensemble bien plus vaste. Le Kaw est régit par des règles et des pratiques coutumières qui s’inscrivent dans le cadre d’une approche globale et cohérente, dans le but d’assurer le partage de la gestion des terres. Les réunions et les comités de village, où les membres de la communauté exercent leur droit à l’autodétermination via une démocratie délibérative et une participation directe (Paul, 2020), assurent une décentralisation du système de prise de décisions et une résolution des réclamations et des litiges. 

L’agriculture est le moyen de subsistance principal de la communauté qui, pour répondre aux besoins de ses membres, utilise des pratiques traditionnelles pour gérer les champs agricoles, les forêts, la pêche et le bétail. Le mauvais état des routes et l’absence d’infrastructure de transport public rend les déplacements difficiles, ce qui limite la connectivité entre le Kaw et les régions birmanes et thaïlandaises alentours. Néanmoins, il existe un réseau commercial solide entre les nombreux Kaw du Parc (Pimbert et al., 2019).

Les parcelles familiales situées dans les zones de culture communales des hautes terres, appelées Ku, sont délimitées une fois par cycle (un cycle durant en moyenne 7 à 10 ans) par les Hteepoe Kaw K’sa, qui utilisent leurs connaissances de la poésie Karen loola hta et les tabous Kaws pour identifier les zones propices à la culture agricole. Aussi, des zones intactes de végétation et de forêts sont volontairement laissées entre les parcelles Ku pour permettre aux mammifères arboricoles de se déplacer facilement dans le Kaw. Quant aux zones considérées comme sacrées ou très importantes pour la nature locale (les crêtes par exemple), elles ne sont jamais cultivées (KESAN, 2017).

L’agriculture traditionnelle dans les Kaw. Photo: KESAN

Le respect que porte la communauté envers les esprits de la terre, de la forêt, des rivières et de la faune mène à la protection des zones de frai des poissons, des forêts sacrées, des montagnes et des chutes d’eau. Il est également considéré comme tabou de chasser certaines espèces, notamment les calaos, les tigres et les gibbons (KESAN, 2019b). 

Les forêts situées le long des crêtes et les forêts riveraines ne sont pas défrichées pour l’agriculture et sont protégées. Il est tabou de couper les arbres dont les branches se reflètent sur les étangs et les rivières; et ceux qui présentent des ramifications spécifiques signalant la nidification d’animaux sauvages sont également protégés (BEWG, 2009). 

Les forêts offrent plus de 150 produits forestiers non ligneux (PFNL) différents, notamment des matériaux de construction, des aliments sauvages et des plantes médicinales. Les communautés Karen gèrent leurs propres forêts de plantes médicinales (KESAN, 2006).

Les forêts sacrées du Kaw sont protégées. Elles comprennent des cimetières et des forêts où les cordons ombilicaux des nouveaux-nés, une fois placés dans des récipients en bambou, sont attachés aux arbres. L’essence de la vie de l’enfant est ainsi directement liée à l’arbre, et si ce dernier devient grand et fort, l’enfant aura une vie belle et saine. Le Loh est un autre paysage sacré : une zone où le monde des esprits et le monde corporel se rencontrent. Lorsqu’une personne meurt, une petite partie de son corps (cheveux, os, etc.) est enterrée dans le Loh pour que son âme trouve sa voie sur le long chemin vers le monde d’après, et prépare sa renaissance (Paul, 2019).

La montagne Thaw Thi Kho, au nord du Parc, est considérée comme sacrée par les communautés de tout le Kawthoolei (KESAN, 2020) et est présente dans de nombreux contes populaires. Il existe aussi d’autres sites sacrés rigoureusement protégés qui ne peuvent être visités qu’en présence des chefs spirituels locaux de Hteepoe Kaw K’sa.

Réserves fauniques et réserves forestières 

Au sein du Parc de la paix de Salween, les communautés et l’Union Nationale Karen (en particulier le département forestier Karen) gèrent 8 réserves forestières, 34 forêts communautaires et 3 réserves fauniques[8] (couvrant un total de 540,64 km2). Comme elles font partie du Kaw, la majorité des forêts communautaires du Parc sont gérées directement par les communautés elles-mêmes, avec un soutien mineur du Département Forestier Karen (KFD). Le reste est cogéré par les communautés et le KFD. Les réserves fauniques quant à elles sont cogérées par le KFD, le KESAN et les villages Karen qui mènent des recherches, délimitent leurs frontières et élaborent ensemble leurs règles de gestion [9].

Importance de la conservation du Parc de la paix de Salween

Le Parc de la paix de Salween fait partie de l’écorégion des collines Dawna-Karen. On trouve parmi les forêts :  une forêt sèche de Diptérocarpacées en plaine, des forêts de teck, une forêt mixte de feuillus de 100 à 800 mètres d’altitude environ, une forêt de feuillus persitants de 300 à 1 000 mètres, une forêt subalpine de 800 à 2000 mètres et une forêt de feuillus persistants de montagne au-delà de 1 000 mètres d’altitude.

Ces forêts abritent le pangolin de Sunda, une espèce en danger critique d’extinction, mais aussi des espèces menacées comme le tigre, l’éléphant d’Asie, le dhole, le gibbon ou le banteng, et de nombreuses espèces vulnérables dont le léopard, l’ours noir d’Asie, l’ours malais, le guar, ainsi que 35 autres espèces protégées par la CITES (SBB Moo et al., 2017). Des équipes de chercheurs aussi ont aussi recensé 93 espèces d’orchidées au sein du Parc. Les premières données recueillies grâce aux pièges photographiques montrent des populations sauvages florissantes, avec la présence intacte et diversifiée de carnivores qui cohabitent dans les même zones (19 espèces ont été documentées jusqu’à présent). Ces rassemblements sont encouragés par un nombre important de proies dans cette zone, comme notamment le sambar, qui fut fortement chassé dans une grande partie de la région Indo-birmane.

En danger critique Pangolin Sunda (Sunda pangolin)
En dangerTigre (Panthera tigris), Eléphant d’Asie (Elephas maximus), Banteng (Bos javinicus), Dhole (Cuon alpinus), Semnopithèque de Phayre (Thrachypithecus phayrei)
VulnérableOurs Noir d’Asie (Ursus thibetanus), Ours Malais (Helarctos malayanus), Léopard (Panthera pardus), Panthère Nébuleuse (Neofelis nebulosa), Sambar (Rusa unicolor), Guar (Bos gaurus), Binturong (Arctictis binturong), Macaque à queue de cochon du nord (Macaca leonina), Macaque à face rouge (Macaca arctoides), Blaireau Asiatique (Arctonyx collaris)
Quasi Menacée Chat Marbré (Pardofelis marmorata),  Chat de Temminck (Catopuma temminckii), Saro de Chine (Capricornis milneedwardsii
Espèces sur la liste rouge de l’UICN vivant dans le Parc de la paix de Salween

Le Parc de la paix de Salween couvre l’extrémité nord du couloir forestier qui traverse la Birmanie et la Thaïlande. Ce couloir forestier représente une opportunité majeure pour la conservation des tigres dans la région car une population reproductrice est localisée dans le complexe forestier occidental de Thaïlande. Le Parc abrite également l’une des plus importantes populations reproductrices de léopards d’Indochine (P.p delacouri) encore présentes en Asie du Sud-Est, qui ne vit plus que sur 2,5 % de la zone qu’elle habitait autrefois (SBB Moo et al., 2017). 

La diversité et la santé écologiques de cet environnement sont exceptionnelles pour le pays et pour la région du Mékong qui, au cours des dernières décennies, a connu un déclin dramatique de ses espèces sauvages en raison de l’intensification de la chasse et de leur commerce, de l’accaparement des terres à grande échelle, de l’agroalimentaire et de l’extraction des ressources.

Commémoration de la Journée Internationale pour les Rivières et contre les Barrages. Photo: KESAN

Le fleuve Salween

Le fleuve Salween est le plus long fleuve à écoulement libre d’Asie. Il joue un rôle central dans la vie des populations et est essentiel à la santé environnementale du Parc de la paix. Le fleuve est cependant menacé par une série de gigantesques barrages hydroélectriques prévus sous l’ancien régime militaire birman. Le barrage Hatgyi, proposé en 2001 dans le cadre d’un projet commun entre le Gouvernement Birman, la société chinoise Sinohydro et l’Autorité Thaïlandaise de Production d’Électricité, est le plus important d’entre eux, avec une capacité de 1 350 mW.

La création du Parc de la paix de Salween atteste d’une opposition populaire au barrage de Hatgyi, dont le site de construction est à la pointe sud. S’il était construit, ce barrage déplacerait des dizaines de milliers de personnes, provoquerait une érosion côtière, endommagerait les pêcheries, menacerait d’extinction des poissons endémiques[10], inonderait deux réserves naturelles et aurait un impact direct sur les moyens de subsistance des 10 millions de personnes qui pêchent, cultivent et vivent sur le bassin versant du fleuve Salween. Ces barrages en projet causeraient des dommages irréparables à l’écologie, à la géomorphologie et au débit des 2 800 km de fleuve. Hatgyi étant le plus au sud des barrages prévus, sa seule construction déconnecterait de la mer 91% de l’habitat aquatique du bassin hydrologique, modifierait les régimes d’écoulement et bloquerait les sédiments, ce qui provoquerait une baisse significative de la productivité de la pêche côtière et fluviale (IFC, 2018) ainsi qu’une érosion côtière.

Conclusion

Le Parc de la paix de Salween est une manifestation de l’espoir des autochtones Karen. La région est en proie à des conflits; menacée par des projets d’extraction à grande échelle et par les impacts croissants de l’urgence climatique mondiale. En réponse, les communautés autochtones Karen ont rassemblé les principaux acteurs afin de les rallier à leur vision d’un paysage écologiquement sain, juste et pacifique. Fondé sur des connaissances autochtones et des générations de gardiens Karen, le Parc de paix de Salween offre une stabilité à ses habitants et à sa faune, ainsi qu’une précieuse opportunité d’apprentissage tant pour les organes politiques de la Birmanie que pour le reste du monde. Par le biais du Parc de la paix de Salween, et avec le soutien d’autres territoires de vie dans le monde, les autochtones Karen de Mutraw nous offrent une nouvelle vision de l’avenir, un lieu où toutes les formes de vie peuvent vivre ensemble en paix.

Références


[1] Documenté par une équipe de chercheuses de la communauté dans la forêt communautaire de Khehsor Ter, canton de Luthaw, district de Mutraw. Vous trouverez plus d’informations en langue karen dans le rapport du KESAN intitulé Studying Orchids, Enriching Lives (2018) : http://kesan.asia/resource/studying-orchids-enriching-lives/

[2] L’Union Nationale Karen (KNU) est de facto l’organe directeur sur le territoire Karen ainsi que le gouvernement civil du mouvement indépendantiste Karen. La KNU est à la fois le principal négociateur dans les négociations de paix en cours, et le principal organe directeur et prestataire de services dans les zones gouvernées par les Karen. Ses départements sont responsables de l’éducation publique, de la gouvernance des terres et des forêts, de la santé publique, de la pêche et des tribunaux, entre autres services gouvernementaux, dans tout le Kawthoolei depuis la fondation de la KNU en 1947. Pour plus d’informations, veuillez consulter le site www.knuhq.org.  

[3] Armée Birmane, qui comprend l’armée terrestre, la marine et l’armée de l’air. 

[4] Gouvernement de la République de l’Union de Birmanie, dont le siège est à Nay Pyi Taw et qui est dominé par la Ligue Nationale pour la Démocratie dirigée par la Conseillère d’État Aung San Suu Kyi et le Président Win Myint. Le Tatmadaw a organisé un coup d’État militaire et renversé le gouvernement démocratiquement élu le 1er février 2021. Au moment de la publication, la crise n’est toujours pas résolue. Pour plus d’informations, voir la lettre ouverte et l’appel à l’action du Consortium APAC sur la situation au Myanmar, publié le 5 avril 2021.

[5] L’accord de l’Union comportera 51 points convenus. Ministère de l’information de la République de l’Union du Myanmar. Extrait du Ministère de l’information du Myanmar : https://www.moi.gov.mm/moi:eng/?q=news/14/11/2018/id-14228

[6] Ceux-ci sont officiellement reconnus par la KNU, l’organe directeur du District de Mutaw, conformément aux accords de cessez-le-feu de 2012 et 2015.

[7] Se prononce « tha-noo-say-la ».

[8] Ces réserves naturelles ont été officiellement classées en tant que telles par les britanniques, et sont maintenant revitalisées par le KFD, la KESAN et les communautés locales pour être activement gérées et protégées.

[9] Par exemple, Kaydoh Mae Nyaw, a été créé en 2017 après 5 ans de collaboration avec 43 villages entourant la RF et 2 villages à l’intérieur de ses frontières. Les villages peuvent continuer à cultiver leurs terres et leurs vergers déjà établis, et ont mis en place 10 règles à suivre pour guider l’expansion et l’établissement de nouvelles zones de culture. Les recherches ont permis de documenter 64 espèces de mammifères, 122 d’oiseaux, 12 d’amphibiens et 20 de reptiles dans la réserve faunique (KESAN, 2016).

[10] Dans le bassin du fleuve, 170 espèces de poissons ont été recensées, dont 60 sont des espèces endémiques. Les recherches menées par les communautés ont permis d’identifier 90 espèces de poissons en l’aval du projet de barrage Hatgyi.

A propos des auteur.e.s

Paul Sein Twa est un dirigeant autochtone Karen et le président de l’Assemblée nationale du Parc de la Paix de Salween. Il travaille avec les communautés Karen du Parc depuis plus de 20 ans. Il est aussi membre du Conseil du Consortium APAC et a reçu le Prix Goldman en 2020.

Julia Fogerite est chercheuse dans le domaine de l’environnement et travaille sur la conservation de la biodiversité, des droits fonciers et de la gouvernance environnementale en Birmanie depuis 2013, Membre d’Honneur du Consortium APAC.

Casper Palmano est conseiller technique du Karen Environmental and Social Action Network (KESAN) et travaille sur les ressources naturelles et les droits territoriaux en Birmanie depuis 2014, Membre d’Honneur du Consortium APAC.

Traduction et révision : Solène Chatelain, Christian Chatelain et Rachel Babin 

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