Auteur.e.s: Michael Ferguson, Kolola Pitsiulak, Adamie Nuna, David Irngaut, Phillip Manik Sr., Eli Kavik et James Qillaq, du Qikiqtaaluk Wildlife Board (Conseil de la faune de Qikiqtaaluk, QWB)
Date de publication: 20 mai, 2021
Abraham Etungat de Kinngait, Lucassie Nutaraluk d’Iqaluit et Etuangat Aksayuk de Pangnirtung, trois aînés Inuits aujourd’hui décédés, racontaient tous les trois des histoires similaires sur les tuktuit (caribous), se rappelant du temps où ils étaient enfants et vivaient à différents endroits sur la côte de Qikiqtaaluk (île de Baffin), dans les années 1910 et 1920 :
« Quand j’étais un jeune garçon et que les tuktuit n’étaient jamais bien loin, je ne pouvais pas croire mes aînés quand ils me disaient qu’il n’y aurait plus de caribous lorsque viendrait mon tour de nourrir mes propres enfants, mais que plus tard, lorsque je serais moi-même devenu un aîné, les caribous seraient à nouveau très nombreux. Ils disaient la vérité ».
Tel que leurs aînés l’avait prédit, Abraham, Lucassie, Etuangat et de nombreux autres Inuits ont connu la pénurie de tuktuit à Qikiqtaaluk dans les années 1940 et 1950, alors qu’ils tentaient de nourrir leurs jeunes familles. Plus tard, devenus eux-mêmes des aînés dans les années 1980 et 1990, ils ont connu l’abondance de tuktuit qui avait été prédite depuis déjà longtemps. Mais ensuite, ce fut à leur tour de prédire, en tant qu’aînés, le prochain déclin cyclique, qui a commencé à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Jusqu’à la fin des années 2010, la présence de caribous est restée faible, mais les Inuits rapportent les premiers signes indiquant que la lente reprise a commencé, comme l’avaient prédit leurs aînés.
« Quand j’étais un jeune garçon et que les tuktuit n’étaient jamais bien loin, je ne pouvais pas croire mes aînés quand ils me disaient qu’il n’y aurait plus de caribous lorsque viendrait mon tour de nourrir mes propres enfants, mais que plus tard, lorsque je serais moi-même devenu un aîné, les caribous seraient à nouveau très nombreux. Ils disaient la vérité ».
Abraham Etungat, Lucassie Nutaraluk et Etuangat Aksayuk, aînés Inuits Photo: Michael Ferguson
ILes Inuits et leurs ancêtres « récoltent » les tuktuit dans la région de Qikiqtaaluk depuis au moins 3 500 ans[1]. Les archéologues ont trouvé d’anciens sites d’habitation humaine dans des habitats importants pour les tuktuit, connus des aînés Inuits encore aujourd’hui[2]. En inuktitut (terme référant à la langue et à la culture inuites), les Inuits peuvent « dessiner des cartes » avec leurs mots, ayant évolué dans un environnement dépourvu de papier et de crayons. Au cours des décennies passées, lorsque les tuktuit étaient rares, comme dans les années 1940, les Inuits voyageaient en traîneau à chiens vers des endroits spéciaux qui, selon leurs aînés, pourraient être les seuls à encore abriter des tuktuit. Ils voyageaient pendant très longtemps, souvent pendant une année entière, allant jusqu’à 375 km à l’intérieur des terres, afin de revenir avec de la viande séchée et des peaux pour confectionner des vêtements d’hiver pour leurs familles étendues vivant sur la côte. Parfois, ils ne trouvaient pas de tuktuit et survivaient pendant l’été en attrapant de petits oiseaux chanteurs, comme les bruants des neiges. Lorsque les Inuits trouvaient sur leur chemin des Inuits mourant de faim, ils les escortaient jusqu’aux communautés côtières, où ils pouvaient recouvrir leurs forces en mangeant du phoque, de la baleine, du poisson et de l’ours. Certains ne revenaient jamais. Les peaux d’été des tuktuit étaient essentielles pour rester au chaud au plus profond de l’hiver. Au sujet de l’importance des tuktuit et de leur rareté dans les années 1940, feu Elijah Keenianak de Pangnirtung disait simplement :
« Tout le monde avait froid. Personne ne savait où étaient les tuktuit ».
Grâce à l’InuitQaujimajatuqangit, le savoir traditionnel et récent des Inuits, les aînés anticipent les changements dans la population de tuktuit sur les terres de Qikiqtaaluk, en se basant sur les changements observés dans la distribution, les mouvements, le choix d’habitat et la condition corporelle des caribous. Depuis des milliers d’années[3], les Inuits et leurs ancêtres surveillent et gèrent avec succès la population de tuktuit de Qikiqtaaluk. Au début des années 1980, les aînés Inuits ont prédit des changements cycliques dans la répartition des tuktuit sur le territoire de Qikiqtaaluk, des changements qui ont effectivement été observés à la fin des années 1980 et 1990. Au début des années 2000, d’autres changements ont été repérés, amenant les chasseurs et les aînés à prévoir le prochain déclin important de la population pour les années 2006 à 2020, une période de pénurie semblable à celle des années 1940 et 1950. Par conséquent, en 2004 et 2005, cinq communautés du sud de Qikiqtaaluk ont travaillé avec le gouvernement du Nunavut pour élaborer un plan de gestion des tuktuit pendant la période de pénurie. Cependant, le gouvernement n’a pas mis en œuvre ce plan.
Campement inuit pendant la récolte de tuktuit dans les fjords du nord-est de Qikiqtaaluk. Photo : Michael Ferguson
Peuples et écosystèmes de Qikiqtaaluk
Qikiqtaaluk est la cinquième plus grande île du monde, avec plus de 507 000 km2 de toundra arctique, de calottes glaciaires, de glaciers et de lacs. Elle représente environ un quart du territoire canadien du Nunavut et fait partie des vastes terres circumpolaires des Inuits. Il y a environ 4 000 ans, les ancêtres des Inuits ont voyagé vers l’est depuis les limites nord-est de l’Asie, traversant les écosystèmes de toundra de l’Amérique du Nord et survivant grâce à leur culture et leurs technologies adaptées à la vie dans la toundra et dans les eaux de l’Arctique. Les Inuits ont probablement atteint l’est du Groenland il y a environ 800 ans. En 2016, la population humaine du Nunavut était d’environ 30 100 personnes (dont 85 % d’Inuits). Les Inuits, qui dépendent traditionnellement des tuktuit de Qikiqtaaluk, sont réparti en 10 communautés vivant soit sur les côtes de Qikiqtaaluk, soit à proximité. En 2016, ces 10 communautés comptaient une population totale de 18 378 personnes, dont 14 335 Inuits (soit 78 %)[4].
Malgré les influences extérieures croissantes venant du sud, les traditions et les valeurs culturelles des Inuits à l’égard des tuktuit et des autres animaux sauvages demeurent importantes et largement intactes. Au Nunavut, la chasse d’animaux sauvages par les Inuits à des fins de subsistance et d’utilisation culturelle est appelé « récolte ». La récolte des animaux sauvages au Nunavut et dans d’autres régions de l’Arctique continue d’être importante pour la souveraineté alimentaire et l’alimentation quotidienne des Inuits[5]. Parmi les Inuits de Qikiqtaaluk et d’autres régions, les « récolteurs » qui réussissent à nourrir leur famille et les autres membres de leur communauté sont hautement respectés.
Pond Inlet, au nord de Qikiqtaaluk (Nunavut), sur le détroit d’Eclipse. Vue sur l’île Bylot au nord. Photo : Michael Ferguson
Les emplois rémunérés sont très limités dans la plupart des communautés (les quelques salaires proviennent du gouvernement, du commerce, du transport, du tourisme, de l’artisanat et des secteurs connexes). Une mine souterraine de plomb et de zinc a été exploitée au nord de Qikiqtaaluk de 1976 à 2002, mais peu d’Inuits ont bénéficié d’avantages économiques. En 2015, la Baffinland Iron Mines Corporation a ouvert une mine de fer à ciel ouvert au nord de Qikiqtaaluk. Le Qikiqtaaluk Wildlife Board (Conseil de la faune de Qikiqtaaluk, QWB) et les Hunters and Trappers Organizations (Organisations locales de chasseurs-trappeurs , HTO) s’inquiètent des impacts actuels et futurs de cette mine sur les tuktuit et sur les mammifères marins importants comme le narval. Les Inuits ont constaté les effets négatifs de la mine de fer sur le tuktuit, le narval et d’autres espèces sauvages, mais la Baffinland n’a pas reconnu ces impacts. Actuellement, la mine achemine 6 millions de tonnes de minerai vers l’Europe chaque année et propose d’augmenter la production à 12 millions de tonnes, ce qui permettra probablement de financer le développement d’un chemin de fer et d’un port déjà approuvé, afin d’atteindre 18 millions de tonnes par an, soit une augmentation de 500 % de la production actuelle[6][7]. De plus, l’exploration extensive pour l’extraction de diamants[8], d’or[9] et d’autres minéraux est en cours dans la région de Qikiqtaaluk.
Figure 1. Qikiqtaaluk, les Inuits et les tukuit : noms de lieux et détails cartographiques. Carte : Michael Ferguson
Qikiqtaaluk présente des paysages et des écosystèmes diversifiés où vivent de nombreuses espèces animales de l’Arctique. La baie de Baffin et le détroit de Davis, au large de la côte est, abritent d’importantes populations d’ours polaires, de phoques, de narvals, de baleines boréales, de bélugas, d’oiseaux de mer et de canards eiders, autant de ressources alimentaires et culturelles essentielles pour les Inuits.
Dans l’est de Qikiqtaaluk s’étend une crête montagneuse de 1 650 km de long avec des fjords profonds et des glaciers, y compris la calotte glaciaire Barnes. Dernier vestige de la glaciation nord-américaine avec de la glace datant de 20 000 ans, la calotte glaciaire Barnes a commencé à fondre rapidement dans les dernières années[10]. Actuellement, cette chaîne de montagnes influence le climat de Qikiqtaaluk, car les systèmes météorologiques de l’ouest répandent de l’humidité sur les hauteurs, tandis que l’air est plus sec, plus venteux et plus frais sur les montagnes de l’est. Les anciennes calottes glaciaires et les glaciers continuent d’influencer la croissance de la végétation et la configuration des habitats des tuktuit, en particulier leur fourrage d’hiver composé de lichens, des organismes dépourvus de racines. Les Inuits distinguent différents types de tuktuit : certains, s’étant adaptés aux montagnes et aux hauts plateaux de l’est de Qikiqtaaluk, présentent une structure physique et des comportements migratoires distincts des tuktuit qui vivent à des altitudes plus basses.
Le paysage occidental de Qikiqtaaluk est tout le contraire de celui des montagnes de l’est. La Grande plaine du Koukdjuak (Kuujjuaq), qui accueille la plus grande colonie d’oies du monde, est une immense zone humide et plate (15 775 km2) qui longe le bassin de Foxe. Les basses terres du bassin de Foxe s’étendent au nord et au sud de la Grande plaine sur une distance de plus de 1 000 km. De nombreux oiseaux aquatiques, sternes, mouettes et oiseaux de rivage ainsi qu’environ 1,75 million d’oies des neiges, soit 33 % de la population mondiale, se reproduisent dans la Grande plaine. Les eaux du bassin de Foxe abritent la plus grande population d’aiviq (morses) de Qikiqtaaluk, en plus de nombreux autres mammifères et oiseaux marins. La Grande plaine et toutes les zones humides côtières autour du bassin de Foxe sont les habitats d’été privilégiés des tuktuit après la période de mise bas, car les joncs, l’herbe et d’autres plantes y abondent. Toutefois, le fourrage n’y est pas accessible en hiver, car elle se recouvre d’une couche de neige dure et incassable, balayée par les vents.
En plus de la calotte glaciaire de Barnes, qui s’étend entre les basses terres du bassin de Foxe et les montagnes orientales de Qikiqtaaluk, l’île abrite le plus grand lac insulaire au monde, Natsilik (le lac Nettilling), d’une superficie d’environ 5 540 km2[11]. Au sud se trouve un autre grand lac, Ammaqjuaq (le lac Amadjuak, 3 115 km2), dont le bassin versant se jette dans Natsilik avant de poursuivre sa route vers l’ouest dans Kuujjuaq (la rivière Koukdjuak) jusqu’au bassin de Foxe, formant ainsi une zone bioclimatique unique, propre au Bas-Arctique. Stable sur le plan climatique depuis 4 800 ans, cette zone du Bas-Arctique est plus diversifiée sur le plan biologique que la zone du Haut-Arctique environnante sur Qikiqtaaluk[12]. Pendant les mois de juillet, août et début septembre des années 1970 et 1980, des milliers de tuktuit de Natsilik ont migré vers le sud, traversant à la nage Kuujjuaq et la partie est de Natsilik pour se rendre sur leurs lieux de rut et d’hivernage.
Natsilik, Qikiqtaaluk. Photo: Michael Ferguson
L’accord du Nunavut et le Qikiqtaaluk Wildlife Board
Après environ 20 ans de négociations, les Inuits du Nunavut ont signé en 1993 un accord[13] avec la Couronne du Canada. Dans la hiérarchie des normes, l’accord du Nunavut vient juste après la Constitution du Canada, de sorte qu’aucune loi ou politique gouvernementale ne peut porter atteinte aux droits accordés aux Inuits. Dans cet accord, les Inuits sont représentés collectivement par le Nunavut Tunngavik Incorporated, tandis que la Couronne est représentée par les gouvernements du Canada et du Nunavut. L’accord a été conçu pour atteindre les objectifs suivants :
déterminer de façon claire et certaine les droits de propriété, d’utilisation et d’exploitation des terres et des ressources, ainsi que le droit des Inuits de participer à la prise de décisions concernant l’utilisation, l’exploitation, la gestion et la conservation des terres, des eaux et des ressources, notamment au large des côtes ;
reconnaître aux Inuits des droits d’exploitation des ressources fauniques et le droit de participer à la prise de décisions en cette matière ;
verser aux Inuits des indemnités pécuniaires et leur fournir des moyens de tirer parti des possibilités économiques ; et
favoriser l’autonomie et le bien-être culturel et social des Inuits.
L’accord prévoyait la création de plusieurs conseils et commissions servant d’instruments de gouvernance publique afin de promouvoir un dialogue continu entre le gouvernement et les Inuits. Le pouvoir de décision finale a été confié aux ministres du gouvernement. Trois conseils et commissions jouent un rôle essentiel dans les questions liées à l’environnement, à la faune et à l’aménagement du territoire : le Nunavut Wildlife Management Board (Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut), la Nunavut Planning Commission (Commission d’aménagement du Nunavut) et la Nunavut Impact Review Board (Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions).
Tuktu femelle secouant l’eau de sa fourrure après avoir nagé entre les îles, est de Natsilik, Qikiqtaaluk. Photo : Michael Ferguson
Les Inuits sont représentés au même titre que le gouvernement au sein de ces conseils et commissions, avec des présidents indépendants. Bien que les ministres du gouvernement aient le dernier mot sur les décisions spécifiques prises par les conseils et les commissions, les désaccords sont généralement résolus par des négociations. Dans certains cas toutefois, le Nunavut Tunngavik Incorporated a poursuivi les gouvernements devant les tribunaux pour non-respect des droits des Inuits. Pour la première fois en 2021, le Qikiqtaaluk Wildlife Board a intenté une action en justice contre le gouvernement du Nunavut, qui a ensuite été réglée à l’amiable.
Le Qikiqtaaluk Wildlife Board est une organisation régionale inuite qui porte sur la faune et qui est reconnue en vertu de l’accord. Le QWB participe à la cogestion de la faune et à l’aménagement du territoire dans toute la région de Qikiqtaaluk[14]. Siègent au QWB un président indépendant et 13 directeurs qui sont également les présidents des 13 Hunter and Trapper Organizations (HTO) de la région. Chaque HTO représente l’ensemble des Inuits de l’une des 13 communautés. Le QWB travaille en étroite collaboration avec les 13 HTO pour représenter au mieux leurs intérêts lors des réunions des commissions et des conseils de cogestion. Le QWB collabore également avec ses partenaires de cogestion au sein des gouvernements fédéral et territorial ainsi qu’avec certaines ONG environnementales. Le QWB a des fonctions et des pouvoirs spécifiques et généraux pour gérer la récolte de la faune lorsque celle-ci concerne au moins deux HTO de la région. Les responsabilités du QWB s’appliquent donc à une grande majorité d’animaux sauvages, car la plupart sont récoltés par plus d’une communauté. Chaque HTO est responsable de la gestion de la récolte effectuée par les Inuits dans sa communauté.
Le QWB travaille également avec une autre organisation inuite régionale, la Qikiqtani Inuit Association (Association inuite Qikiqtani, QIA), qui a pour mandat de protéger et de promouvoir les intérêts sociaux, politiques, économiques et culturels des Inuits. Cette association gère les 35 % des terres de la région sur lesquelles les Inuits possèdent des droits de surface et les 3,5 % sur lesquels ils possèdent des droits d’exploitation du sous-sol. Elle est également chargée de négocier les Ententes sur les répercussions et les avantages pour les Inuits avec les gouvernements ainsi qu’avec les promoteurs miniers ou autres pour toute proposition de projet sur les terres et eaux de la région.
La plage de Pond Inlet et l’île de Byot. Photo : Michael Ferguson
Les propositions du QWB et des HTO auprès de la Commission d’aménagement du Nunavut
À Qikiqtaaluk, certains habitats fauniques sont officiellement protégés par deux parcs nationaux qui couvrent environ 8 % de l’île (41 300 km²). Cependant, une grande partie de ces parcs est composée de calottes glaciaires et de glaciers et les habitats pour les tuktuit sont peu représentés. Il existe deux parcs territoriaux ainsi qu’un projet de parc pour Qikiqtaaluk. Actuellement, le plus grand parc territorial s’étend sur environ 1 260 km². Trois aires de mise bas, utilisées par les tuktuit migrateurs de Natsilik, sont reconnues dans les règlements de la Loi sur les ressources fauniques du Nunavut. Toutefois, il n’existe aucune réglementation en matière de protection de l’habitat. Une exploration aurifère est actuellement en cours dans l’une de ces aires de mise bas[15].
Bien que le gouvernement du Nunavut ait le pouvoir de protéger les habitats importants pour les tuktuit sur le territoire de Qikiqtaaluk, il n’a pas agi en ce sens. Alors que la protection de ces habitats a été proposée dans le plan de gestion des tuktuit élaboré en 2005, le gouvernement du Nunavut semble être maintenant défavorable à toute mesure de protection à long terme ou permanente des habitats essentiels pour les tuktuit et les autres animaux sauvages.
Le projet du Plan d’aménagement du territoire du Nunavut de 2016 n’a identifié aucune aire protégée ou zone spéciale de gestion en faveur des tuktuit de Qikiqtaaluk. Au courant de 2017-2018, le QWB et les HTO ont identifié de nombreuses aires fauniques importantes qui devraient être protégées contre toute activité future de développement non liée au mode de vie traditionnel. Ces aires sont vitales pour la sécurité et la souveraineté alimentaires des Inuits, qui les utilisent depuis des milliers d’années. Ce projet commun du QWB et des HTO a donné lieu au dépôt de 43 propositions écrites à la Commission d’aménagement du Nunavut concernant les aires à protéger dans le cadre du futur Plan d’aménagement du territoire du Nunavut[16]. Cinq de ces propositions traitent de différents types d’habitats importants principalement pour la protection des valeurs liées aux population de tuktuit ; chaque proposition peut définir une ou plusieurs aires spécifiques. Par le biais de ces propositions faites à la Commission d’aménagement du Nunavut, ce sont plus de 180 200 km2 (soit 18 millions d’hectares) du territoire de Qikiqtaaluk ainsi que plus de 417 km2 (soit 41 700 hectares) de banquise dans les fjords qui pourraient être pris en compte pour la protection des tuktuit (voir figure 2). D’ailleurs, plusieurs de ces aires pourraient être reconnues officiellement comme APAC ou « territoires de vie inuits ».
Figure 2. Qikiqtaaluk, Inuits et tuktuit. Carte : Michael Ferguson
Étant donné que, par le passé, le gouvernement du Nunavut n’ait rien fait pour protéger les tuktuit de Qikiqtaaluk, le QWB espère établir un consensus avec d’autres partenaires plus enclins à protéger la souveraineté alimentaire et culturelle des Inuits. Le Nunavut Wildlife Management Board et la Qikiqtani Inuit Association ont tous deux pris position pour qu’au moins les aires de mise bas des tuktuit soient protégées. Le QWB espère influencer le futur plan d’aménagement du territoire du Nunavut par le biais de la Nunavut Planning Commission. Le QWB envisage l’autodéclaration et l’inscription de plusieurs aires de conservation des tuktuit et autres animaux sauvages au registre mondial des APAC, géré par le Centre mondial pour le suivi de la conservation du PNUE, afin de promouvoir la reconnaissance des efforts des Inuits sur la scène internationale.
Deux femelles et un petit nageant entre les îles dans la partie est de Natsilik, Qikiqtaaluk. Photo : Michael Ferguson
La recherche de consensus chez les Inuits
Avant les années 1970 et 1980, la plupart des Inuits vivaient en de nombreux petits groupes familiaux, largement dispersés sur le territoire, et se déplaçaient souvent au gré des saisons pour, entre autres raisons, récolter des animaux sauvages. Les Inuits voyageaient sur tout le territoire de Qikiqtaaluk, qu’ils utilisaient dans sa totalité. Parfois, plusieurs groupes familiaux se réunissaient à des fins diverses et à l’occasion de différents événements. Afin de maintenir la cohésion et la coopération nécessaires au bien-être collectif, les comportements sociaux des Inuits suivaient des normes orientées vers la recherche de consensus. En général, les aînés écoutaient attentivement pendant que les autres Inuits discutaient ouvertement des questions importantes. Au moment opportun, ces aînés respectés proposaient une solution qui profiterait à l’ensemble du groupe.
Le QWB et la plupart des organisations inuites continuent de suivre les normes traditionnelles en matière de recherche de consensus. Lorsque le moment est venu de procéder à un vote pour le compte rendu, le vote est généralement unanime. Si l’unanimité semble peu probable, alors le vote est reporté. Dans ce cas, il faudra faire place à plus de discussions, de réflexions et de temps pour trouver la meilleure solution.
Malheureusement, les normes de comportement des Inuits ne sont pas toujours compatibles avec celles du gouvernement et des autres participants à la cogestion, ce qui conduit ces derniers à dominer la prise de décision tout en sapant la recherche de consensus.
Une tendance s’observe fréquemment lors de réunions interculturelles : un biologiste ou un gestionnaire du gouvernement parle avec autorité et se montre fermé aux informations ou aux options fondées sur l’Inuit Qaujimajatuqangit (IQ, ou savoir traditionnel inuit). Les Inuits possédant ce savoir posent généralement des questions bienveillantes aux non-Inuits sur un sujet spécifique, comme une invitation subtile faite à l’autre pour l’inciter à chercher de nouvelles informations ou options auprès des Inuits au lieu de continuer à ignorer leurs connaissances et leurs points de vue. Lorsque des non-Inuits se disputent au sujet de la faune ou de l’environnement, les aînés et les autres Inuits se sentent mal à l’aise. De tels comportements, qui leur sont étrangers, peuvent nuire à l’établissement d’un consensus. Par conséquent, d’importantes connaissances, solutions et sagesse inuites peuvent passer sous silence. Dans de telles situations, le silence et l’absence de désaccord de la part des Inuits ne signifient pas pour autant qu’ils sont d’accord. Les efforts pour trouver un consensus sont également entravés par le fait que ce sont les ministres du gouvernement qui ont le pouvoir de décision finale au Nunavut et qu’ils ne tiennent habituellement pas compte des alternatives fondées sur l’IQ.
Femelle caribou allaitant son petit, Grande plaine de la Koukdjuak, île de Baffin. Photo :Michael Ferguson
Tuktuit, biodiversité, changements climatiques et développement
L’Inuit Qaujimajatuqangit enseigne que la durée du cycle de population des caribousà Qikiqtaaluk est égale à la durée de vie d’un aîné, soit de 70 à 90 ans[17]. Les aînés Inuits peuvent prédire les phases de ce cycle et les périodes d’abondance de tuktuit grâce à la surveillance continue exercée par les récolteurs Inuits, sans qu’il soit nécessaire de recourir à des enquêtes coûteuses. La plupart des Inuits sont sceptiques quant à l’exactitude des enquêtes scientifiques sur la faune. La justesse de l’Inuit Qaujimajatuqangit a fait ses preuves depuis des générations ; l’IQ est sans cesse mis à jour, vérifié et révisé au besoin par un travail conjoint des récolteurs et des aînés.
Lorsque les tuktuit atteignent une forte densité dans la région de Qikiqtaaluk, ils changent la composition de communautés végétales entières dans leurs habitats d’hivernage[18]. Pendant l’hiver, les tuktuit se nourrissent principalement de lichen, si celui-ci est suffisamment abondant. En creusant dans la neige pour accéder au lichen, ils cassent et délogent les arbustes, les herbes, les graminées, les autres plantes ainsi que le sol, qui sont ensuite emportés par le vent vers les dépressions et les cours d’eau. Si les populations de tuktuit n’atteignaient pas une densité élevée pendant un cycle complet, les plantes vasculaires pourraient finir par dominer la toundra de Qikiqtaaluk ; ces plantes feraient de l’ombre, réduisant la croissance future du lichen dont les tuktuit ont besoin pendant l’hiver. À long terme, la perte de la biodiversité végétale causée par une forte densité de tuktuit est nécessaire pour que les lichens, les tuktuit et les Inuits puissent prospérer pendant certaines phases de ces longs cycles.
Flavocetraria nivalis, le lichen préféré des tuktuit de Qikiqtaaluk. Photo : Michael Ferguson
Certains aînés Inuits ont déclaré que lorsque les tuktuit sont trop nombreux pendant trop longtemps, il peut falloir jusqu’à 30 ans pour que leur nourriture, le lichen, se rétablisse. Lorsque suffisamment de temps a passé, les tuktuit immigrent depuis d’autres régions et leur population augmente progressivement jusqu’à redevenir abondante. D’autres aînés parlent des signes qu’ils observent sur le sol, ainsi que l’expliquait feu Geosha Uniuqsaraq d’Iqaluit au début des années 1990 : « Mes aînés m’ont dit que les tuktuit reviendraient lorsque les vieux bois des caribous seraient couverts de lichen. C’est ainsi que j’ai su qu’ils seraient de retour ».
D’autre part, les tuktuit n’abondent pas au même moment dans toute la région de Qikiqtaaluk. Comme les anciens l’avaient prédit dans les années 1980, après avoir hiverné sur la péninsule de Foxe pendant environ 20 ans, les tuktuit ont émigré en masse, déplaçant leur aire d’hivernage à environ 375 km vers l’est, pour occuper une zone peu pâturée sur la péninsule Meta Incognita[19]. Les tuktuit qui étaient restés sur la péninsule de Foxe jusque dans les années 1990 étaient en très mauvaises conditions et ont fini par partir. Les tuktuit qui avaient émigré vers la péninsule Meta Incognita sont devenus plus gros et plus productifs, capables de creuser dans une neige beaucoup plus dure et plus profonde, grâce à l’abondance de lichen. Comme l’ont déclaré plusieurs aînés, « la neige n’est pas un problème pour les tuktuit, à moins qu’ils n’aient été trop nombreux pendant trop longtemps ».
En raison de la complexité de ces interactions, il est difficile de faire des prédictions sur les impacts du changement climatique sur les tuktuit ou d’autres espèces sauvages. Tant que leur population reste faible, les tuktuit peuvent s’adapter facilement aux changements climatiques qui se manifestent par une neige plus épaisse, plus de vent ou même de la pluie ou de la glace sur la neige en automne. Mais dans certaines zones de Qikiqtaluk, il y a eu trop de tuktuit ces dernières décennies. En ce sens, le changement climatique pourrait être dévastateur si, comme le disent les aînés, la terre ne peut pas se reposer. Peut-être que les tuktuit partiront à la recherche de terres plus enneigées ou avec plus de lichen pour survivre, ou peut-être pas.
Tuktuit bien camouflés à la fin de l’hiver, sud de Qikiqtaaluk. En combien de temps trouverez-vous les onze ? Photo : Michael Ferguson
Les aînés Inuits savent que lorsque les tuktuit sont très nombreux et en bonne condition physique, ils vont où ils veulent, comme ils l’ont fait sur les terres de Qikiqtaaluk dans les années 1980 et 1990. Cependant, lorsqu’ils sont peu nombreux ou en mauvaise condition, ils sont très sensibles et vite perturbés par les interventions humaines et les nouvelles infrastructures sur le territoire. En général, les plus touchées sont surtout les femelles avec leurs petits, bien que dans certaines régions et à certaines saisons, les mâles aussi peuvent devenir sensibles. D’autre part, les tuktuit affamés peuvent sembler ne pas être dérangés par les humains et ne pas chercher à fuir immédiatement, mais ils ne reviendront peut-être plus à ces endroits. Lorsqu’il y a peu de tuktuit, les activités telles que l’exploitation minière, les routes et les éoliennes peuvent mettre en péril le rétablissement d’une petite population, surtout si leurs habitats ne sont pas protégés à long terme. Toutefois, lors de réunions interculturelles, les promoteurs argumentent parfois en disant que s’il y a peu de tuktuit, alors il est inutile de protéger les zones en question. C’est dans ce contexte difficile que se déroulent les discussions concernant la mine de fer de la Baffinland et sa proposition d’augmenter la production et de construire un chemin de fer dans le nord de Qikiqtaaluk.
Étant donné que les réactions des tuktuit ne sont pas visibles immédiatement et varient selon un grand nombre de critères, comme la disponibilité des ressources fourragères, la densité de leur population, la saison, le sexe et l’âge, la condition physique et diverses circonstances environnementales, les impacts des perturbations et des activités de développement sont difficiles à détecter par les méthodes scientifiques. Les Inuits, en revanche, ont une compréhension et une appréciation plus profondes et plus nuancées du comportement des tuktuit et des autres animaux sauvages de l’Arctique, ce qui les amène souvent à tirer des conclusions différentes de celles des gouvernements, des biologistes et des promoteurs quand aux impacts du développement et du changement climatique.
Zones humides de la Grande plaine de la Koukdjuak, avec des oies des neiges sur le sol et dans les eaux, au croisement du bassin de Foxe et de Kuujjuaq. Photo: Michael Ferguson
Les tuktuit et les Inuits
Même pendant les périodes cycliques de pénurie, la récolte des tuktuit est source d’une grande fierté chez les Inuits, car elle est la base du lien qui maintient unies des communautés entières et assure la transmission de l’Inuit Qaujimajatuqangit aux jeunes générations, en ce qui concerne les tuktuit, la météo, le climat, la terre, les plantes et les autres animaux. Comme l’a exprimé feu Pauloosie Kilabuk d’Iqaluit à la fin des années 1980 :
« C’est pour les autres que je chasse. Je sors et pars à la recherche d’un caribou… Cela me permet de rester proche des hommes avec qui je chasse. Je rends mes parents, mes enfants, mes proches et mes amis heureux parce que, parfois, ils n’ont pas de caribou, et nous nous réunissons tous pour partager la viande. Le caribou est plus important que le phoque pour garder ma famille et ma communauté unies… Qu’est-ce qu’un festin communautaire sans caribou ?[20]».
Entre 1980 et 1984, les prédécesseurs de l’Association inuite Qikiqtani ont mené la première étude de la région sur les récoltes inuites[21]. Au cours de ces 4 années, ils ont estimé que les Inuits récoltaient annuellement entre 12 000 et 16 000 tuktuit dans la région de Qikiqtaaluk, et tout indique que la population continuait à croître. À cette époque, cela aurait coûté environ 11 millions de dollars canadiens par an de remplacer cette ressource par du bœuf en provenance du sud du Canada.
Le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut[22] a mené une autre étude à Qikiqtaaluk entre 1997 et 2001, estimant que les Inuits récoltaient moins de tuktuit : entre 8 000 et 11 000 par an. C’est au cours de ces années que les chasseurs Inuits ont signalé pour la première fois les changements que les aînés ont interprété comme les signes d’une possible future pénurie de tuktuit à Qikiqtaaluk. C’est probablement à ce moment qu’a commencé la phase de déclin du cycle de population, qui dure entre 70 et 90 ans.
« C’est pour les autres que je chasse. Je sors et je pars à la recherche d’un caribou… Cela me permet de rester proche des hommes avec qui je chasse. Je rends mes parents, mes enfants, mes proches et mes amis heureux parce parfois il n’y a pas de caribou, et nous nous réunissons tous pour partager la viande. Le caribou est plus important que le phoque pour garder ma famille et ma communauté unies. Qu’est-ce qu’un festin communautaire sans caribou? ».
Pauloosie Kilabuk d’Iqaluit
Le QWB et les HTO ont averti le gouvernement des profonds changements prédits par les aînés et ont demandé l’élaboration d’un plan de gestion à long terme, fondé sur l’Inuit Qaujimajatuqangit. Un plan de gestion sur 15 ans a été élaboré pour les tuktuit du sud du Qikiqtaaluk, à l’occasion d’ateliers tenus en 2004 et 2005 par le gouvernement du Nunavut, le QWB et les HTO. En 2005, le plan a été présenté au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut pour examen. Le QWB et les HTO ont demandé que des ateliers de planification similaires soient tenus pour le nord de Qikiqtaaluk, où les prévisions inuites et les changements observés chez les tuktuit étaient semblables. Malheureusement, le gouvernement n’a pas répondu à la demande des Inuits du nord de Qikiqtaaluk et n’a pas mis en œuvre les mesures de gestion et les projets de recherche requis par le QWB et les HTO dans le plan de gestion pour le sud de Qikiqtaaluk.
Lorsqu’il n’a plus été possible d’ignorer le déclin prévu, le gouvernement a réalisé en 2014 un ambitieux relevé aérien de l’ensemble de l’île et des terres avoisinantes, qui a permis d’estimer la population à 4 650 tuktuit (IC à 95% : 3 460-6 250)[23]. Bien que le QWB ait convenu que la population avait décliné et se trouvait à un point bas de son cycle, il n’était pas d’accord avec le gouvernement quant à son estimation de la population en 2014 ni avec les mesures de gestion proposées en conséquence[24]. Au départ, le gouvernement du Nunavut a imposé un moratoire sur la récolte, mais après environ six mois, il a permis, pour 2015, une récolte totale autorisée (Total Allowable Harvest) de 250 mâles.
En 2020, le QWB a demandé au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut d’augmenter la récolte totale autorisée à 325 mâles et d’autoriser la récolte de 45 femelles. Les aînés Inuits déconseillent la récolte d’un seul sexe, car cela pourrait perturber l’équilibre dans le système social des sous-populations de tuktuit. Ces demandes étaient fondées en grande partie sur l‘Inuit Qaujimajatuqangit dont les prédictions se sont avérées exactes au cours des 40 dernières années et pour de nombreuses générations auparavant. Ces demandes ont été systématiquement refusées par le gouvernement du Nunavut et par le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, bien que depuis 2019, la récolte d’un maximum de 25 femelles est désormais autorisée.
D’après l‘Inuit Qaujimajatuqangit et les observation des récolteurs, qui surveillent continuellement l’évolution de la répartition des tuktuit comme les Inuits l’ont toujours fait, le QWB sait que la population de tuktuit sur Qikiqtaaluk grandit et peut être davantage récoltée. Par exemple, les tuktuit sont de retour sur la péninsule de Foxe et dans d’autres régions durant l’hiver, après y avoir été absents depuis environ 30 ans. Pour en apporter la preuve, le QWB a réuni des fonds afin de documenter officiellementl‘Inuit Qaujimajatuqangit et les observations des chasseurs, ainsi que de collecter des échantillons de matière fécale pour un suivi génétique, au sein de trois communautés, sur les années 2021 et 2022.
Bois couverts de lichen (comme il est dit dans le texte, c’est un signe du futur retour des tuktuit dans la zone, selon le savoir inuit). Photo: Michael Ferguson
Dans les années 1940 et 1950, après une période de déclin cyclique, les Inuits ont déclaré qu’ils devaient continuer à récolter des tuktuit même si ceux-ci étaient peu nombreux, pour deux raisons principales : (1) pour obtenir de la nourriture et des vêtements d’hiver, et (2) pour « laisser la terre se reposer ». En effet, il était nécessaire de poursuivre la récolte afin de rétablir l’équilibre écologique entre les tuktuit et leur fourrage hivernal à croissance lente, suite à leur présence excessive pendant trop longtemps. Les populations de tuktuit peuvent augmenter rapidement lorsque la quantité de lichen fourrager est suffisante. Cependant, si la récolte de tuktuit est trop faible pendant une décennie ou plus après une période de déclin cyclique, la croissance rapide de la population pourrait générer un surpâturage permanent du fourrage d’hiver, ce qui ne permettrait plus la phase du cycle de croissance maximum.
Les biologistes et le gouvernement du Nunavut ont préconisé une gestion visant à maximiser la croissance actuelle de la population, tout en affirmant qu’ils ne savent pas pourquoi le déclin s’est produit en premier lieu. Grâce à leurs connaissances ancestrales et à la surveillance continue des tuktuit qu’ils exercent tout au long de l’année à Qikiqtaaluk, les Inuits ont prédit avec précision le déclin. Ils savent pourquoi il s’est produit et comment gérer leur rétablissement pour les générations futures de tuktuit et d’Inuits ; et ils savent comment restaurer les ressources en lichen dont ils dépendent tous.
Le QWB prévoit de présenter une nouvelle demande au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut courant 2021/2022, pour obtenir une augmentation de la récolte totale autorisée. Même si ce sont les ministres du gouvernement qui décident en dernière instance, le QWB continuera d’œuvrer en faveur du rétablissement, de la protection et de la gestion des tuktuit de Qikiqtaaluk et de leurs habitats, en se basant sur les valeurs, les principes et les enseignements de l’Inuit Qaujimajatuqangit. D’ailleurs, fin 2020, l’organe exécutif du QWB a décidé de déclarer la prééminence des systèmes inuits de gestion des ressources fauniques en tant que droit autochtone protégé par la Constitution du Nunavut.
Période de rut des Tuktuit fin octobre, sud de Qikiqtaaluk. Photo: Michael Ferguson
[1] Milne, S.B., R.W. Park and D.R. Stenton. 2012. Dorset culture land use strategies and the case of inland southern Baffin Island. Canadian Journal of Archaeology 36: 267–288.
[2] Park, R.W., S.B. Milne and D.R. Stenton. 2017. Burin and spall use at an inland arctic small tool tradition site, southern Baffin Island, Nunavut. Canadian Journal of Archaeology 41:63–78.
[3] Ferguson, M.A.D., and Messier, F. 1997. Collection and analysis of traditional ecological knowledge about a population of arctic tundra caribou. Arctic 50: 17–28.
[4] Sur la base des résultats du recensement de 2011 et des estimations pour 2016 (Nunavut Bureau of Statistics 2016). Les communautés ont une population jeune et en pleine croissance, ce qui est typique de nombreux Peuples Autochtones ; 48% de la population a 24 ans ou moins, et seulement 7% a 65 ans ou plus.
[11] Les Inuits ont nommé Natsilik d’après le natsiq (phoque annelé) parce que ce phoque habituellement marin et source importante de nourriture pour les Inuits et les ours polaires vit dans ce lac toute l’année.
[12] Jacobs, J.D., A.N. Headley, L.A. Maus, W.N. Mode and É.L. Simms. 1997. Climate and vegetation of the interior lowlands of southern Baffin Island: Long-term stability at the low arctic limit. Arctic 50: 167– 177.
[14] La région de Qikiqtaaluk, qui représente environ la moitié du Nunavut, couvre la totalité de Qikiqtaaluk (île de Baffin), soit environ 500 000 km², ainsi que de nombreuses autres îles et une partie du Nunavut continental, soit environ 500 000 km² supplémentaires. https://en.wikipedia.org/wiki/File:Map_of_the_Nunavut_regions.png
[17] Ferguson, M.A.D., R.G. Williamson and F. Messier. 1998. Inuit knowledge of long-term changes in a population of arctic tundra caribou. Arctic 51: 201–219.
[18] Ferguson, M.A.D., L. Gauthier, and F. Messier. 2001. Range shift and winter foraging ecology of a population of Arctic tundra caribou. Canadian Journal of Zoology 79: 746–758.
[19] Ferguson, M.A.D., and Messier, F. 2000. Mass emigration of arctic tundra caribou from a traditional winter range: population dynamics and physical condition. Journal of Wildlife Management 64: 168–178.
[20] Ferguson, M.A.D. 1989. Baffin Island. In People and caribou in the Northwest Territories. Edited by E. Hall. Department of Renewable Resources, Government of the Northwest Territories, Yellowknife. pp. 141–149
[21] Donaldson, J.L. 1988. The economic ecology of hunting: A case study of the Canadian Inuit. Ph.D. dissertation, Department of Biology, Harvard University, USA.
[22] Prest, H. and P.J. Usher. 2004. The Nunavut wildlife harvest study: Final report. The Nunavut Wildlife Management Board, Iqaluit, NU.
[23] Campbell, M., J. Goorts, D.S. Lee, J. Boulanger and T. Pretzlaw. 2015. Aerial abundance estimates, seasonal range use, and spatial affiliations of the barren-ground caribou (Rangifer tarandus groenlandicus) on Baffin Island – March 2014. Technical Report Series No: 01-2015, Department of Environment, Government of Nunavut.
Michael Ferguson est le conseiller principal de gestion faunique du QWB depuis début 2017. De 1981 à 2005, il a travaillé comme biologiste de la faune pour les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, en collaboration avec les Inuits de Qikiqtaaluk et d’autres îles de l’Arctique, notamment sur les tuktuit, les bœufs musqués et d’autres animaux sauvages. Il a vécu pendant 7 ans à Iqaluit, au sud de Qikiqtaaluk, puis à Pond Inlet, au nord de Qikiqtaaluk, depuis 17 ans.
Kolola Pitsiulak est directeur exécutif du QWB, basé à Kimmirut, Nunavut.
Adamie Nuna, David Irngaut, Phillip Manik Sr. and Eli Kavik sont membres exécutifs du QWB.
James Qillaq est directeur du QWB, basé à Clyde River, Nunavut.
Le Qikiqtaaluk Wildlife Board (Conseil de la faune de Qikiqtaaluk, QWB) est une organisation Membre du Consortium APAC.
L’organe exécutif du QWB a approuvé la version préliminaire de ce manuscrit lors d’une réunion téléphonique le 7 mai 2020.
Traduction : Rachel Babin
Révision : Marie-Line Sarrazin et Gaëlle Le Gauyer